Une nouvelle ligne de métro va bientôt traverser ce quartier historique, engendrant inévitablement une profonde transformation de cette zone chaotique mais pittoresque.
L'emplacement est idéal pour en faire une nouvelle zone immobilière prisée, à deux pas du fleuve Chao Phraya.
"Nous ne pouvons rien faire", explique Thanuan Amnueilap, 92 ans, attablé à l'un des stands de nouilles qui envahissent les ruelles du quartier de Charoen Chai.
Il habite à deux pas de l'emplacement de la future station de métro qui devrait ouvrir en 2018 et reliera le quartier à celui du centre moderne de Bangkok, non loin de là.
Environ 60 familles vivent ici depuis des générations et redoutent d'être expulsées. Des dizaines de maisons dans le bas de la rue ont été rasées pour permettre le passage du métro. Et le prix des terrains a augmenté de 20% en cinq ans.
Thanuan et ses voisins sont particulièrement menacés puisqu'ils habitent sur une parcelle détenue par un organisme de charité dirigé par le gouverneur de Bangkok, un descendant de la famille royale.
"S'ils veulent que nous partions, nous y serons forcés", confie Thanuan, de retour devant sa modeste maison.
L'organisme dirigé par le gouverneur a refusé de répondre aux questions de l'AFP. Depuis que les plans du métro sont connus, il ne propose plus que des baux pour une durée d'un mois.
- Maisons de marchands chinois -
Le quartier s'est développé au XVIIIe siècle, quand des foules de marchands d'origine chinoise l'ont investi et transformé en centre pour le commerce.
Il est l'un des plus anciens et importants centres de la diaspora chinoise, dont beaucoup de membres ont fui la famine du sud de la Chine et sont arrivés par bateau avec de maigres économies en poche.
Leur dialecte, le Teochew, peut encore être entendu au hasard des ruelles.
Une partie d'entre eux a fait du chemin: certains hommes d'affaires à la tête des plus grosses entreprises de Thaïlande sont issus de ce quartier.
Parmi eux figure Charoen Sirivadhanabhakdi, qui détient et dirige le conglomérat TCC Land, propriété notamment de la bière Chang.
Il vient de racheter plusieurs petites échoppes vendant des pièces détachées automobiles et des instruments de musique.
Rien n'a encore été dévoilé des plans pour cette zone de Woeng Nakhon Kasem, mais les habitants craignent de voir surgir un centre commercial: Charoen en possède déjà plusieurs dans la ville.
Incapables de surenchérir face aux milliardaires, les résidents tentent néanmoins de sauver l'âme de leur quartier.
Sirinee Urunanont, 45 ans, a pris les devants et transformé son petit magasin en un micro-musée consacré à l'opéra chinois, populaire dans le quartier. "Nous devons montrer aux gens pourquoi nous voulons conserver cette zone", estime-t-elle.
Protéger les bâtiments historiques de Chinatown, c'est la mission que s'est donnée depuis des années Yongtanit Pimonsathean, professeur d'architecture à l'Université Thammasat.
"En Thaïlande, tout est axé sur la préservation des temples, mais rien sur les propriétés privées", explique-t-il dans un bureau débordant de cartes répertoriant les trésors du quartier.
Seuls 26 bâtiments du quartier sont classés au patrimoine historique, fait valoir le gouvernement thaïlandais. Or selon Yongtanit, près de 7.000 bâtiments privés du quartier mériteraient d'être protégés.
Le plus grand défi, sera, d'après lui, de faire entendre la voix des résidents face aux promoteurs immobiliers.
Les communautés de Bangkok ont dû mal à préserver leur art de vivre et leurs spécificités. De nombreuses rues de la capitale thaïlandaise, dont certaines dans le quartier chinois, ont été vidées de leurs typiques petits stands de rue vendant toutes sortes de brochettes ou de bols de nouilles, au grand dam des habitants et des touristes.
D'après les plans de la ville de Bangkok, le nouveau quartier chinois comptera parcs verdoyants et fontaines bien alignées, loin du fatras actuel.
Pour sauver son quartier, Sirinee et son groupe ont envoyé des dizaines de lettres de pétition aux autorités. Mais jusqu'ici, "cela n'a eu aucun effet", se désole-t-elle.
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