Mohibullah revient de loin. Depuis sa cellule de Kandahar, la grande ville du Sud afghan, il raconte comment la police l'a empêché in extremis de se faire exploser devant les bureaux du gouverneur d'un district à la périphérie de Kandahar en 2014.
L'adolescent fugueur, interrogé par l'AFP sous le contrôle de ses geôliers, raconte avoir d'abord été endoctriné dans une madrassa, une école coranique où l'on révère les "martyrs" dont le sacrifice équivaut à un billet pour un paradis où les vierges sont légion.
"Tu ne souffriras pas quand tu déclencheras ta veste explosive", lui assuraient ses commanditaires, d'après son récit. "Tu iras directement au paradis".
Mohibullah, veste verte et chapeau brodé de Kandahar, remue nerveusement pendant qu'il raconte ses mésaventures, dont le récit lève un pan de voile sur l'utilisation des enfants dans le conflit afghan.
Quand ses commanditaires lui demandent de choisir la cible de son attentat-suicide parmi une liste de cinq noms, il se décide pour celui qu'il pense le plus vulnérable: le gouverneur du district d'Arghandab. Des promesses de vie éternelle plein la tête, Mohibullah raconte être ensuite trimballé jusqu'à Arghandab, passant d'un intermédiaire à l'autre.
Mais l'apprenti kamikaze est stoppé net dans son élan. La police, renseignée par un indic, l'arrête avant même qu'il n'atteigne sa cible. Verdict: quatre ans dans une prison pour mineurs.
- Endoctrinement et entraînement -
Mohibullah assure que son endoctrinement a eu lieu dans l'une des milliers d'écoles coraniques érigées au Pakistan hors de tout contrôle, dont un certain nombre grâce à des fonds saoudiens.
A en croire les autorités afghanes, ces établissements offrent aux talibans un terreau de recrutement de premier choix.
Les relations entre Kaboul et Islamabad sont difficiles, les Afghans accusant les Pakistanais de soutenir l'insurrection islamiste, tandis que le gouvernement du Pakistan a reconnu récemment, après des années de démentis, que la direction des talibans était bien basée sur son territoire.
"Les madrassas des zones tribales du Pakistan sont les principaux lieux d'endoctrinement et d'entraînement des kamikazes", note Brian Williams, qui a mené une enquête pour la CIA sur les attentats-suicides en Afghanistan. "Cela fait des années que l'Afghanistan tente en vain de supprimer ces filières. Les familles ignorent bien souvent que leurs fils ont été recrutés, jusqu'à ce qu'elles reçoivent les sommes promises à leurs enfants morts", explique-t-il à l'AFP.
Les insurgés affirment que les "garçons au visage glabre" ne sont jamais utilisés dans les opérations militaires. Mais les autorités afghanes signalent régulièrement l'arrestation de jeunes adolescents que les talibans comptaient utiliser comme kamikazes.
La police, l'armée et les services de renseignement qualifient ces tout jeunes kamikazes de "missiles humains", dont la petite taille leur permet de se faufiler à travers les mailles des filets sécuritaires, à l'entrée de bâtiments officiels par exemple.
Quant à leurs jeunes cerveaux, ils sont manifestement manipulables au point de leur faire croire que la mort vaut mieux que la vie.
- 'Il a peur des chats' -
Le mois dernier, un garçon de 12 ans qui devait se faire exploser s'est rendu aux forces afghanes dans la province orientale de Nangarhar, à la frontière pakistanaise. Les talibans l'avaient envoyé se faire tuer en emportant avec lui des "mécréants" de l'armée nationale. Il a fait marche arrière à la dernière minute après avoir vu des soldats prier dans une mosquée.
"L'utilisation accrue d'enfants par les talibans ne fait qu'ajouter aux horreurs du long conflit afghan", s'alarmait Human Rights Watch dans un récent rapport. "Les enfants doivent aller à l'école et vivre avec leurs parents. Ils ne doivent pas servir de chair à canon pour nourrir l'insurrection", plaidait l'ONG.
L'AFP est parvenue à retrouver la famille de Mohibullah. Elle vit dans une simple maison en terre à Spin Boldak, à la lisière du Pakistan. Derrière son voile, la mère du jeune homme ne retient pas ses larmes et plaide l'innocence de son fils. "Il a peur des chats, alors comment pourrait-il devenir kamikaze?", lance cette mère de famille qui n'a pas de quoi nourrir ses six enfants.
Suivre l'éducation d'une madrassa pakistanaise est considéré comme un rite de passage à Spin Boldak, où il y a eu de fréquents cas d'enfants fuguant à travers la frontière poreuse pour rejoindre une école coranique.
"Quand je l'ai vu en prison, je lui ai demandé pourquoi il avait fugué. Il a pleuré, il m'a prise dans ses bras et il m'a dit: +ramène-moi à la maison+".
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