Dès 1979, le syndicat patronal Capeb a créé une Commission Nationale des Femmes d'Artisans pour les représenter.
"A l'époque, il fallait rassembler ces femmes qui travaillaient dans l'ombre de leur conjoint, sans statut réel et officiel. Il fallait qu'elles se fassent une place dans le bâtiment qui était un monde d'hommes, ce n'était pas évident", relate sa présidente, Catherine Foucher.
Si l'artisanat du bâtiment compte quelque 230.000 chefs d'entreprise (hors auto-entrepreneurs) et qu'environ une conjointe pacsée ou concubine sur deux travaille avec son compagnon, elles seraient aujourd'hui environ 115.000.
Certaines d'entre elles travaillent encore sans être déclarées, mais il est difficile de savoir combien - peut-être une sur cinq, selon une source proche du dossier.
Secrétaire, assistante de direction, comptable, gestionnaire: elles ont longtemps assumé de nombreuses tâches, sans pour autant avoir de poste officiel.
"Elles n'avaient pas de droits propres, ne cotisaient pas pour l'assurance-maladie, la retraite : en cas de séparation ou de veuvage, elles se retrouvaient sans rien", souligne Mme Foucher.
"Une entreprise artisanale est une affaire familiale", rappelle-t-elle. "Il y a toujours une femme dans le métier et sur le terrain : il était inadmissible qu'on ne les reconnaisse pas".
- De "vrais bras-droits" qui ne se mettent pas en avant -
Une loi du 2 août 2005 entrée en vigueur le 1er juillet 2007, a marqué un progrès en rendant obligatoire de choisir entre trois statuts : salarié, collaborateur ou associé.
Aujourd'hui, 30% des épouses d'artisans sont salariées, 17% sont des collaboratrices et seules 2%, des associées.
Après 20 ans de militantisme en faveur des femmes d'artisans, Mme Foucher estime qu'une sur trois est "un vrai bras droit" de son conjoint, mais que pour des raisons d'éducation, elles "ne se mettent pas en avant".
Ce vendredi la Capeb et l'association Iris-ST, spécialisée dans la santé et la sécurité des artisans du BTP, publient la première enquête nationale qui leur est consacrée, réalisée auprès de 529 personnes.
Il en ressort qu'au sortir de six ans de crise, les difficultés financières et l'absence de visibilité sur l'avenir de l'entreprise ont généré chez ces conjoints (à 99% des femmes) un stress important, qui se traduit par des pathologies physiques et psychiques.
- Un stress omniprésent -
Ainsi, plus d'une sur deux (55%) affirme être "souvent ou très souvent" stressée - un chiffre légèrement supérieur à celui des artisans (53%) - et estime souffrir de troubles émotionnels (irritabilité, angoisses).
"Les problèmes de trésorerie sont très stressants : lorsque vous ne pouvez plus payer, et que la banque ne vous accorde pas de prêt de trésorerie, vous ne savez plus quoi faire", explique Nathalie Bergere, co-gérante de deux entreprises artisanales de plomberie/chauffage.
"Et ce sont les conjointes qui répondent aux appels d'offres, souvent pour rien, parce que le travail est happé par la concurrence déloyale des auto-entrepreneurs ou du travail détaché illégal", dit-elle.
Environ la moitié de ces femmes se disent fatiguées (50%), isolées (44%), et souffrent de douleurs musculaires et articulaires.
Des difficultés liées à une charge de travail croissante : une sur trois travaille "six à sept jours" par semaine. Et près d'une sur deux (47%), pour celles qui ont aussi une activité professionnelle hors de l'entreprise.
Et 85% jugent que leur vie professionnelle empiète sur leur vie personnelle, d'autant que l'entreprise se trouve au domicile familial de 55% d'entre elles.
"Mon fils de sept ans nous reproche souvent de trop parler de travail", rapporte Mme Bergere. "Heureusement que je n'ai qu'un enfant, je n'arriverais pas à tout gérer".
Le poids de l'administratif, le stress communicatif du conjoint, le sentiment d'insécurité quant à l'avenir de l'entreprise, alimentent un mal-être qui cache d'autres souffrances : écart entre aspirations et activité réelle, manque de reconnaissance.
"Certaines, un jour, se réveillent en larmes. Elles n'ont plus la force de se lever le matin", rapporte Mme Bergere.
"J'ai mes moments de bérézina, où je n'y arrive plus. J'aimerais que ça s'arrête", confie Cathy Martineau, qui gère une entreprise de charpente de 20 personnes.
Pour répondre à ces difficultés, la mutuelle des artisans, la MNRA, lance vendredi un service d'assistance téléphonique dédié.
Au bout du fil, des psychologues cliniciens qui pourront "proposer un accompagnement psychologique complet et prévenir les situations d'épuisement personnel et professionnel", explique le secrétaire général de la MNRA, Philippe Bollecker.
Car "souvent les femmes d'artisans s'isolent", en particulier en milieu rural, rapporte Cécile Beaudonnat, conjointe salariée. "Mais dans mon village de 400 habitants, Vermines dans le Puy-de-Dôme, nous sommes très solidaires".
"J'essaie de ne pas parler de travail le dimanche, mais ça revient", regrette Mme Martineau. "Avec mon mari, plus on avance dans le temps, plus il n'y a que l'entreprise entre nous. C'est dommage".
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