Le Premier ministre a réveillé ce débat récurrent au détour d'un long entretien paru mercredi dans Libération. Comme le quotidien lui demandait s'il était favorable à une loi pour interdire le voile à l'université, Manuel Valls a jugé qu'"il faudrait le faire". Tout en reconnaissant qu'"il y a des règles constitutionnelles qui rendent cette interdiction difficile".
La conformité à la Constitution d'une telle loi paraît, de fait, incertaine. La ministre de l?Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, ne croit d'ailleurs pas à l'extension à l'université de la loi qui interdit depuis 2004 à l'école les signes religieux ostensibles, dont le voile. "Ce sont de jeunes adultes, les étudiants. Et donc il y a une liberté de conscience, une liberté religieuse, une liberté d'être qui fait qu'on ne va pas imposer les mêmes contraintes à des étudiants qu'à des mineurs", a fait valoir la ministre sur RMC.
Point de vue partagé par le syndicat enseignant Sgen-CFDT: une telle interdiction "ne saurait se comprendre dans les universités où les étudiants sont des citoyens exerçant l'ensemble de leurs droits et leur esprit critique".
La liberté de conviction est d'autant plus jalousement défendue au sein des universités que ces établissements sont dotés d'un statut d'autonomie par rapport aux autres services publics, en vertu de la "franchise universitaire" héritée du Moyen Age. Le Code de l'éducation consacre la liberté d'expression des usagers de l'enseignement supérieur, sous réserve du respect de l'ordre public. Concernant le voile, seule ses déclinaisons intégrales, de types niqab ou burqa, sont proscrites, comme c'est le cas depuis 2011 dans la rue ou tout bâtiment recevant du public.
- 'Prosélytisme' et 'provocation' -
Autre argument avancé par les opposants à une loi: l'absence de tensions liées au voile à l'université. "Ce que je vois sur le terrain, ce que me disent tous les présidents d'université c'est qu'il n'y a pas de problème", a réagi sur RTL le secrétaire d'Etat à l'Enseignement supérieur, Thierry Mandon.
C'est le point de vue de l'Observatoire de la laïcité, commission d'experts placée auprès de Matignon, qui dans un avis rendu public en décembre avait évoqué "une situation globale respectueuse de la laïcité".
Seulement 130 cas de "désaccords ou conflits ponctuels" lui ont été remontés, pour un total de 130 universités et établissements rassemblant environ deux millions d'étudiants. Les situations conflictuelles connues ne concernaient d'ailleurs pas que le port du voile, selon l'observatoire. Son président, l'ex-ministre socialiste Jean-Louis Bianco, a rappelé jeudi dans Le Parisien combien il jugeait "inopportun" de légiférer sur cette question.
Le président de la Conférence des présidents d'université, Jean-Loup Salzmann, a lui fait une mise en garde au micro de RMC: "L'université française est une des universités qui reçoit le plus d'étudiants étrangers. On ne va pas aller les empêcher de venir parce que telle ou telle réglementation s'y opposerait."
Déléguée générale à l?Éducation du parti Les Républicains, Annie Genevard s'est au contraire réjouie que, par les déclarations du Premier ministre, "la question du port du voile s'installe dans le débat public". "C'est une bonne chose car nul ne peut nier aujourd'hui que cette pratique qui se développe signifie souvent pour les femmes un assujettissement", a-t-elle estimé.
Le président du Comité Laïcité République, Patrick Kessel, est lui aussi venu en appui de Manuel Valls. "Il ne dit pas qu'il faut une loi, il dit que ce serait plus simple s'il y en avait une." Pour cette figure de la gauche laïque, "dans certaines universités, il ne s'agit plus de quelques personnes qui portent le voile par conviction religieuse discrète, mais de provocation, de prosélytisme".
"A force de tourner autour du pot, on donne l'image d'une République fragilisée, cela renforce et les islamistes et le Front national", juge-t-il.
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