"Des questions restent soulevées et il est légitime de savoir ce qui s'est passé", explique Françoise Boëgeat, nièce du frère Paul Favre, l'un des religieux tués.
En juin 2015, des experts français ayant assisté à l'exhumation des têtes des moines ont contredit les conditions de la mort décrites dans la revendication du Groupe islamique armé (GIA).
"Notre seule certitude, c'est que la version algérienne d'un crime islamiste ne tient pas", assène l'avocat parisien des familles parties civiles, Patrick Baudouin. Mais les autres hypothèses, celle d'une manipulation des services secrets militaires algériens ou d'une bavure de l'armée, restent difficiles à établir totalement.
Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, les sept moines cisterciens sont enlevés dans leur monastère des hauteurs de Médéa, au sud d'Alger.
Les soupçons se focalisent sur le GIA. Une première revendication tombe le 26 avril. Son chef, Djamel Zitouni, propose un échange de prisonniers. Le 30 avril, un émissaire du GIA remet une cassette à l'ambassade de France à Alger où l'on entend la voix des frères, dix jours plus tôt.
Mais le 23 mai, un communiqué affirme qu'ils ont été tués le 21 mai: "nous avons tranché la gorge des sept moines". Quelques jours plus tard, les autorités algériennes annoncent avoir retrouvé "les cadavres".
La version d'un rapt sanglant des islamistes, en pleine guerre civile, vient confirmer que la France reste une cible privilégiée du GIA, après la prise d'otage d'un avion d'Air France en décembre 1994 et les attentats de Paris en 1995.
A ce moment-là, "je ne peux que penser qu'il s'agit d'une affaire de terrorisme", se souvient Françoise Boëgeat.
Mais un premier doute intervient, lorsque le procureur général de l'ordre des cisterciens trappistes, le père Armand Veilleux, demandant à reconnaître les corps, ne découvre que des têtes dans les cercueils.
- Agent double -
En 2004, une enquête judiciaire est ouverte à Paris. Entretemps, un ex-militaire algérien, Abdelkader Tigha, a relancé l'affaire, en affirmant en 2002 que le GIA a agi sur ordre de l'armée et que Djamel Zitouni, tué en 1996, était un agent double.
Il raconte aux enquêteurs, sans pouvoir l'étayer, que les moines ont échappé à un premier groupe d'islamistes pour se retrouver dans les mains de jihadistes incontrôlables. Un autre ancien militaire, Karim Moulai, livre un témoignage similaire mais dont la fin ne concorde pas avec le récit de Tigha: il accuse les militaires d'avoir tué les moines.
Pour le père Armand Veilleux, il est certain que les moines gênaient. "Ils étaient situés dans une zone stratégique et étaient témoins des violences des deux bords", affirme-t-il.
Les doutes sur le rôle de Zitouni et la méfiance entre Paris et Alger transparaissent aussi dans des notes des renseignements ou de diplomates.
A l'automne 2014, les magistrats et experts français se rendent en Algérie pour l'exhumation des têtes des moines, mais Alger refuse que les prélèvements soient emmenés en France, obligeant les experts à la prudence dans leurs conclusions.
En juin 2015, ils jugent "vraisemblable" l'"'hypothèse d'un décès entre le 25 et le 27 avril 1996", plus de trois semaines avant la date annoncée dans la revendication du GIA.
Des traces d'égorgement n'apparaissent que pour trois moines. En revanche, tous présentent des signes de décapitation après la mort. Enfin, l'absence d'impacts de balles sur les crânes éloigne l'hypothèse de tirs depuis un hélicoptère de l'armée, évoquée dans le témoignage d'un militaire français.
Des magistrats français sont retournés en Algérie en décembre. Des auditions menées par les Algériens sont revenues en France et doivent être traduites de l'arabe, mais pour les prélèvements "on est au point mort", constate une source proche de l'enquête.
"Ces obstacles ne peuvent que démontrer la reconnaissance de responsabilité des autorités algériennes dans la disparition des moines", déclare Me Baudoin, appelant la France à "tout mettre en oeuvre pour exiger les prélèvements".
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