Loin du débat sur la sortie ou le maintien de la Grande-Bretagne au sein de l'Union européenne, les 33.000 habitants de ce rocher de 6 km2 collé à l'Andalousie, où les "fish and chips" et les bus à étage font partie du paysage, s'inquiètent de plus en plus avant le référendum prévu le 23 juin.
Son économie basée sur les services et dépendante en grande partie de l'accès au marché unique européen, est en jeu. Son seul point d'entrée sur le continent est l'Espagne, qui dispute au Royaume-Uni la souveraineté de ce territoire qu'elle a dû lui céder en 1713.
"Je suis très inquiet que cela rende notre modèle économique actuel intenable", explique le ministre en chef de Gibraltar, Fabian Picardo, depuis le bureau du gouvernement du territoire.
Gibraltar vit du tourisme, de la finance, des jeux en ligne et des services portuaires et a connu une croissance insolente d'environ 10,3% du produit intérieur brut (PIB) en 2015.
Son attrait pour les investisseurs étrangers tient à son régime d'imposition sur les sociétés très faible et son appartenance à l'Union Européenne, qui permet aux entreprises qui y sont basées d'opérer dans tous les Etats membres.
Résultat, de nombreuses banques s'y sont installées et le secteur financier représente environ 20% de son économie.
"Une des raisons pour laquelle les sociétés sont ici est la possibilité de vendre leurs services à travers l'UE... et cette raison disparaîtra" en cas de Brexit, avertit M. Picardo.
- Marks & Spencer et cabines rouges -
Non loin du siège du gouvernement, une foule arpente la rue principale où s'alignent les boutiques, dont le magasin britannique Marks & Spencer et des touristes se prennent en photo devant une cabine téléphonique rouge.
"Le Rocher" a un aéroport international mais la grande majorité des visiteurs traverse la courte frontière terrestre avec l'Espagne.
En 1969, le dictateur espagnol Francisco Franco la fit fermer, obligeant les habitants du rocher à passer par bateau ou par avion jusqu'à sa réouverture complète en 1985.
Les relations ont connu depuis des hauts et des bas et les quatre dernières années ont été marquées par un regain de tension. Le gouvernement conservateur espagnol considère Gibraltar comme un paradis fiscal et s'irrite de la contrebande de cigarettes.
En 2013, l'Espagne avait renforcé les contrôles à la frontière, provoquant des embouteillages sans fin et obligeant la Commission européenne à jouer les bons offices.
De nombreux habitants craignent de revivre cette situation si Gibraltar devait quitter l'UE.
"La moitié ou plus de nos clients traversent la frontière", raconte Isaac Batista, qui travaille dans un magasin de liqueur, où les cigarettes et l'alcool sont bien moins chers qu'en Espagne.
"Si la frontière ferme, ce sera autre chose", ajoute-t-il, non seulement pour les commerces, mais aussi pour les 10.000 frontaliers qui viennent travailler tous les jours sur le Rocher.
- Fermeture de la frontière ? -
C'est le cas de Manuel Marquez, 57 ans, employé dans une usine sur le port et qui vient tous les jours en scooter, avec sa épouse Maria-Carmen, femme de ménage, depuis la ville espagnole de La Linea de la Concepcion.
Il se souvient comment en 2013 il a dû patienter parfois jusqu'à neuf heures pour rentrer chez lui après une journée de travail et a écopé de deux amendes pour avoir protesté.
"J'étais désespéré (...) Nous étions des milliers de personnes travaillant ici, à souffrir", raconte-t-il, installé dans un fast-food.
Le spectre d'une nouvelle fermeture de la frontière inquiète aussi les familles vivant entre l'Espagne et Gibraltar.
A la mort de son père, Manuel Marquez, qui vivait alors sur le Rocher, a dû sauter la clôture et a été arrêté par la police espagnole qui l'a finalement autorisé à aller aux funérailles.
Mais pour Juan Franco, maire de La Linea, la principale inquiétude porte sur l'impact qu'aurait un Brexit sur l'économie locale. Le taux de chômage frôle les 40% dans sa commune et la majorité de ceux qui ont du travail sont employés à Gibraltar.
"Si Gibraltar n'assure plus l'emploi, ça va être un véritable problème pour notre ville", dit-il.
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