"On entend souvent dire que des microbes sont distribués aux enfants, des microbes de réduction des naissances, et Dieu seul sait quoi", explique confusément Rabia, entourée d'une ribambelle de marmots dans son modeste deux pièces à Bilal Colony, secteur majoritairement pachtoune de Korangi, dans l'est de Karachi.
"Elle avait peur qu'il y ait des éléments nocifs dans le vaccin. Je lui ai assuré que non et comme j'habite ici, elle peut venir me voir s'il y a le moindre souci", explique Sharmeen Aslam, qui supervise une équipe de vaccinatrices du quartier.
Tous les mois, elles arpentent chacune une poignée de rues poussiéreuses, poussant une à une les lourdes portes ouvragées pour dispenser les gouttes anti-polio, sans autre protection qu'une discrète présence policière aux abords de leur quartier.
Le travail est ingrat et risqué. Une centaine de personnes ont péri lors d'attentats contre les campagnes de vaccination anti-polio depuis 2012, dont trois à Korangi en 2014.
Des talibans et des mollahs ultra-conservateurs font courir la rumeur que ce vaccin contiendrait des ingrédients haram, illicites en islam, transmettrait des maladies ou rendrait infertile dans le cadre d'un complot occidental visant à limiter la population musulmane.
- 'Tout le monde me connaît' -
Les vaccinateurs, représentants des services publics, sont accusés d'être des espions à la solde des autorités, surtout depuis que la CIA a utilisé une fausse campagne de vaccination pour identifier Oussama Ben Laden dans le nord du Pakistan en 2011.
Pour dissiper les doutes, l'organisme de lutte contre la polio de Karachi a commencé à embaucher en 2014 des vaccinatrices de proximité comme Sharmeen, mieux intégrées, formées et rémunérées. Elles sont environ 2.500 actuellement dans la mégalopole de 20 millions d'habitants.
"Ici, tout le monde me connaît, je n'ai pas à m'inquiéter pour ma sécurité," explique Shahnaz Ayaz, marquant à la craie la date de sa visite sur chaque maison après avoir noirci un ongle des enfants vaccinés.
"J'ai été vaccinatrice à la journée, mais j'allais dans d'autres quartiers, cela me faisait un peu peur", dit-elle.
Cette stratégie a permis aux autorités de Karachi de réduire le nombre de policiers mobilisés pour chaque campagne. Une nécessité car le manque d'escorte policière empêchait régulièrement les vaccinateurs de se déployer.
Une démarche similaire est développée dans le nord-ouest pakistanais, principal réservoir de polio du pays, et dans la province défavorisée du Baloutchistan (sud-ouest), où l'insécurité perturbe la vaccination.
- Méthodes musclées -
Le Pakistan s'efforce de vacciner un maximum de ses 35 millions d'enfants de moins de 5 ans, avec l'objectif d'éradiquer dès 2016 cette maladie infantile paralysante.
Après une année noire en 2014, la pire en 14 ans avec 306 cas de polio recensés, les autorités ont accentué leurs efforts, concentrés sur les principaux foyers d'infection: les Zones tribales et le Khyber Pakhtunkhwa dans le nord-ouest, ainsi que Karachi, principal obstacle à l'éradication du virus en raison du brassage de population.
Des soldats ont été chargés d'immuniser les enfants dans les zones les plus instables, à la frontière afghane.
A la faveur d'une vaste opération militaire contre les islamistes armés, le vaccin est administré aux points de contrôle que traversent les familles fuyant les combats dans ces régions.
Des parents récalcitrants ont été arrêtés, et une proposition de loi visant à rendre la vaccination obligatoire est en cours de discussion.
Ces mesures musclées et l'offensive en cours contre les groupes extrémistes, qui a permis d'accéder à des populations peu ou pas vaccinées, ont fait tomber en 2015 le nombre de nouveaux cas de polio à 54.
Mais cela n'a pas empêché le petit Mohamed, 18 mois, de perdre l'usage de son pied droit avant même d'apprendre à marcher. Dans le quartier de Karachi où il habite, Baldia, la vaccination est entravée par l'insécurité et un taux de refus élevé.
"Je rêve du jour où l'on aura un tel soutien de la population qu'il suffira de battre le rappel pour que tous les enfants soient emmenés au centre de vaccination, comme cela s'est vu au Yémen", soupire Shahnaz Wazir Ali, conseillère anti-polio auprès des autorités provinciales. "Il est essentiel de construire un consensus".
A cette fin, outre les vaccinatrices de proximité, les autorités ont créé plus de 2.500 dispensaires fournissant, avec les vaccins, quelques soins de base. Cela répond à la méfiance des parents qui s'interrogent sur les vastes moyens déployés contre la polio alors que leurs enfants n'ont même pas accès à l'eau potable.
Plus de 2.000 dignitaires religieux participent à l'effort, prêchant en faveur de la vaccination, et se rendant chez les réfractaires.
Le mollah Umar Sadiq tente ainsi de persuader les voisins du petit Mohammed de laisser vacciner leurs enfants. "L'islam prône une société meilleure, dans laquelle chaque enfant est élevé avec les meilleurs standards d'hygiène possibles. Nous avons besoin d'enfants en bonne santé", explique-t-il.
Ces stratégies semblent porter leurs fruits: à Karachi, le nombre de refus a été divisé par quatre en un an.
Mais le défi reste de taille pour le Pakistan, d'autant que le virus continue de proliférer en Afghanistan voisin, à la faveur de l'insécurité. Et parmi les six cas recensés en 2016, l'un a touché un enfant vacciné, alimentant un renouveau de scepticisme.
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