Installée actuellement en Allemagne, la Française a trouvé en 2011/2012, avec l'américaine Jennifer Doudna, une technique d'édition du génome baptisée CRISPR-Cas9, apte à éliminer et à ajouter des fractions de matériel génétique avec une extrême précision.
"CRISPR-Cas9 permet de faire de la chirurgie haute couture du gène", explique Emmanuelle Charpentier, interviewée par l'AFP. "Le but ultime" serait que cette technique "révolutionnaire" permette de "corriger des maladies génétiques humaines".
La biologiste, qui mène sa carrière à l'étranger depuis vingt ans, est à Paris cette semaine pour recevoir le "Prix L'Oréal-Unesco pour les femmes et la science" 2016, décerné également à Jennifer Doudna.
Depuis sa découverte de ce "couteau suisse" de la génétique, Emmanuelle Charpentier accumule "prix et honneurs": "Depuis 2011, j'en ai reçu 35", compte cette brune au tempérament volontaire.
En octobre, son nom avait même circulé pour le prix Nobel de chimie. Rêve-t-elle de recevoir un jour cette distinction ultraprestigieuse?
Elle rit. "Le rêve pour moi, c'est d'avoir trouvé CRISPR-Cas9. Je n'imaginais pas que je pourrais faire un jour une telle découverte".
"Je fais de la recherche non pour avoir des prix mais parce que j'ai envie de savoir". "Ce qui me rend heureuse, c'est lorsque mon équipe et moi obtenons des résultats".
Le "Prix pour les femmes et les sciences", qui lui sera remis jeudi à la Sorbonne, est "important" pour la visibilité qu'il donne aux travaux de femmes scientifiques. "Mais je ne suis pas pour la discrimination positive".
A-t-elle rencontré des obstacles dans sa carrière parce qu'elle était une femme? "Mon principal problème était d'être étrangère et de ne pas faire partie de la +famille+ dans les différentes institutions pour lesquelles j'ai travaillé", relève-t-elle.
- 'Liberté' -
Car Emmanuelle Charpentier, originaire de la région parisienne, est très mobile. Après des études de biochimie et de microbiologie à l'Université Pierre et Marie Curie à Paris, elle obtient son doctorat à l'Institut Pasteur puis quitte la France à 27 ans pour les Etats-Unis.
Elle s'installe ensuite en Autriche puis en Suède avant de rejoindre l'Allemagne. Elle vient de prendre la direction de l'Institut Max Planck de biologie des infections à Berlin.
"Le fait d'avoir bougé me donne une liberté (...). Je me suis toujours mise dans une position assez risquée" où il fallait "tout reconsidérer: soi-même, son équipe, ses projets".
"Mais là, je dois m'arrêter de bouger. Ce n'est plus possible", dit en riant la chercheuse qui est en train d'aménager ses nouveaux locaux. "Au bout d'un moment, on a aussi besoin de continuité".
Parallèlement, elle a cofondé une société de biotechnologie, CRISPR Therapeutics, qui cherche à utiliser la technologie CRISPR-Cas9 pour combattre certaines maladies, par exemple du sang ou certains cancers. Elle est actionnaire et conseillère scientifique de cette société qui vient de s'allier au groupe Bayer.
La chercheuse admet "faire partie des gens qui sont un peu workalcoholic", "qui se mettent à 200%" car ils "ont besoin d'une certaine mission".
"Ca n'a pas été toujours évident sur le plan personnel", confie ce bourreau de travail, qui se détend en nageant et en faisant du vélo.
"Mon moteur, c'est vraiment la recherche fondamentale. Ce qui m'intéresse, c'est de découvrir d'autres mécanismes qui pourraient être exploités dans l'avenir pour d'autres applications thérapeutiques".
"Il y a des gens qui font une découverte, reçoivent des prix et perdent leur motivation. Moi pas du tout". "Je suis exactement dans le même état d'esprit qu'il y a vingt ans car j'ai toujours l'impression d'avoir 25 ans", dit-elle en riant.
Envisage-t-elle de revenir en France? Clairement "non". "Je pense qu'elle ne pourra pas m'offrir ce que l'Allemagne m'a donné sur le plan financier pour monter mon laboratoire". En France, "les demandes de financement font l'objet de procédures assez lourdes", assez "bureaucratiques", estime-t-elle.
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