"C'est peut-être mieux comme ça", soupire un quadragénaire corpulent d'origine maghrébine, qui veut rester anonyme, en écrasant sa cigarette.
Depuis près d'une heure, ils sont venus en nombre, surtout des jeunes, se rassembler au carrefour de la rue des Quatre-vents et de la rue des Osiers. Ils ont entendu à la télé ou à la radio qu'il s'y passait quelque chose.
Mais ils ne peuvent rien voir, la rue des Quatre-Vents est barrée par des policiers, certains cagoulés. Au loin, ils voient passer des hommes avec des brassards de police orange.
Quand la nouvelle de l'arrestation se confirme, on se regarde, incrédule. Vers 19H00 (18H00 GMT), deux explosions venant des opérations de déminage de la police sèment une brève panique.
L'homme le plus recherché d'Europe, soupçonné d'avoir joué au moins un rôle de logisticien dans les attentats de Paris qui ont fait 130 morts, a été arrêté dans la commune où il vivait avant les attaques, où il tenait le bar "Les Béguines" avec son frère Brahim, un des kamikazes du 13 novembre enterré la veille dans un cimetière bruxellois.
"Nous sommes surpris, nous pensions tous qu'il avait quitté la Belgique, qu'il était sous d'autres cieux", confie Ahmed el Khannouss, premier échevin (premier adjoint) de Molenbeek, à une télévision française.
- Réputation collée à la peau -
Pour Ahmed, 28 ans, veste de jogging noire sur les épaules, "c'est pas étonnant qu'il se soit caché ici". "Il a grandi ici. Même si c'était hyper surveillé, c'était sûrement la meilleure des planques. Il connaît bien les lieux et il devait avoir des amis".
"Les gars de l'IRA (Armée républicaine irlandaise), ils se cachaient bien chez des Irlandais", observe Karim qui travaille pour une ONG située à quelques centaines de mètres du numéro du lieu de l?arrestation, à 900 mètres de la maison de la famille Abdeslam.
"Quand on a su qu'il se passait quelque chose, on est allé vers les fenêtres. Les flics étaient déjà déployés, la rue bouclée. On a entendu des coups de feu, mais assez étouffés comme si ça se passait à l'intérieur. Puis il y a eu un ballet de voitures", raconte cet homme de 48 ans, bonnet vissé sur la tête.
Un hélicoptère tourne brièvement dans le ciel. Une ambulance qui sort sous escorte dans une rue adjacente reçoit des quolibets de jeunes. Mais avec la nuit qui tombe, les attroupements se dispersent.
Ne restent que les habitants de la rue, qui se demandent quand ils vont pouvoir rentrer chez eux, parfois avec une pointe d'exaspération. Certains prennent leur mal en patience à la terrasse des cafés voisins.
"Mais tout ça apaisera peut-être un peu les choses, le climat n'était pas bon ces derniers temps", relativise Karim, qui a "toujours habité dans le quartier". "Les gens qui font des choses pareilles au nom de la religion... Ca fait souffrir tout le monde".
La commune de Molenbeek et ses 100.000 habitants se retrouvent à nouveau sous les feux médiatiques, avec plus que jamais collée à la peau sa réputation de fief du jihadisme en Europe.
Ahmed el Khannouss tente de la balayer. L'arrestation est "un soulagement" après "quatre mois de tensions et d'inquiétudes pour la population", dit-il à la chaîne française i-Télé.
"L'enquête va devoir se faire pour déterminer qui, comment, pourquoi... il a pu pendant quatre mois échapper aux forces de l'ordre. Il a dû bénéficier de complicité", professe-t-il, tout en implorant: "De grâce, pas de raccourci".
Salah Abdeslam, lui, n'est plus là. Il a été transporté au vieil hôpital Saint-Pierre où l'on devait soigner ses blessures à une jambe.
Les entrées sont barrées par une douzaine de policiers et des fourgons. En voyant le dispositif et les quelques caméras postées de l'autre côté de la rue, des voitures et des passants ralentissent. La nouvelle a vite fait le tour de Bruxelles.
Canette à la main, un jeune homme passe, regarde les journalistes. Rigolard, il lance: "C'est là qu'elle est, la star?".
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