Le projet prévoit que tous les nouveaux migrants arrivant sur les îles grecques seront renvoyés en Turquie. Pour chaque Syrien renvoyé, les Européens "réinstalleraient" dans l'UE un autre Syrien depuis la Turquie, laquelle obtiendrait aussi en contrepartie une relance de ses négociations d'adhésion.
Le problème chypriote
Nicosie n'apprécie guère la perspective offerte à Ankara d'ouvrir "de nouveaux chapitres aussi vite que possible" dans ses négociations d'adhésion à l'UE. La République de Chypre, divisée en deux depuis l'invasion de la partie nord par la Turquie en 1974, martèle qu'elle "n'a pas l'intention d'approuver" cette contrepartie si "la Turquie ne respecte pas ses obligations".
"Il n'est pas question d'imposer à Chypre l'ouverture d'un chapitre particulier", assure un diplomate participant aux tractations entre Européens. Reste donc à savoir quels engagements d'Ankara seraient susceptibles de lever les objections de Nicosie.
Les visas et les droits de l'Homme
La France a aussi posé des réserves sur une autre contrepartie: l'accélération du processus de suppression des visas pour les Turcs dans l'espace Schengen, qui prévoit 72 critères précis à remplir. La Turquie espère obtenir cette exemption dès juin, mais il n'y aura "aucune concession" sur le respect des critères, a prévenu le président français François Hollande. Plusieurs diplomates doutent de la possibilité de respecter les conditions posées dans un laps de temps si court.
D'autres pays, notamment l'Autriche, ont exprimé leurs réticences sur le terrain des "valeurs", s'inquiétant de trop larges concessions au régime islamo-conservateur turc, accusé de dérive autoritaire. La Hongrie de Viktor Orban a elle prévenu qu'elle mettrait son "veto" à tout engagement contraignant en matière de "réinstallations" de demandeurs d'asile dans l'UE.
Les méthodes de Merkel agacent à Bruxelles
La manière inhabituelle dont s'est noué le projet d'accord a laissé des séquelles. Le texte a été négocié à la veille du sommet du 7 mars entre la chancelière allemande Angela Merkel et le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu, en présence du Premier ministre néerlandais Mark Rutte.
Les autres chefs d'Etat n'étaient pas au courant. Ni surtout le président du Conseil européen, Donald Tusk, pourtant chargé par les Etats membres de négocier avec Ankara, et qui a découvert comme eux le texte de l'accord le jour du sommet. L'entourage du Polonais n'a pas caché son irritation, même s'il a rapidement endossé les grandes lignes du fruit des tractations germano-turques, à l'instar de la Commission européenne.
Résultat: tout en admettant l'intérêt de la "proposition turque", de nombreux Etats membres n'ont pas hésité à dire tout haut leurs doutes sur les faiblesses d'un texte rédigé à leur insu, et sur les concessions promises à la Turquie par une Allemagne s'érigeant en porte-parole de l'UE.
La légalité de l'accord en question
Le projet d'accord a été accueilli par un concert de critiques. L'ONU a notamment mis en garde contre l'illégalité des "possibles expulsions collectives et arbitraires". A Bruxelles, depuis 10 jours, c'est le branle-bas de combat parmi les juristes spécialisés des institutions, chargés de faire entrer le texte dans les clous du droit international et européen.
La Commission européenne a assuré mercredi que le renvoi de tous les demandeurs d'asile vers la Turquie serait conforme au droit, car la Grèce va reconnaître que la Turquie est un "pays tiers sûr", où ils seront en mesure de recevoir la protection qu'ils demandent. Chaque demandeur aura droit à une procédure individualisée sur les îles grecques, et il pourra faire appel contre son renvoi en Turquie, selon l'exécutif européen.
"La première chose que fera un juge en cas de recours, c'est de saisir la Cour de justice de l'UE" pour tester la conformité de ces renvois avec le droit européen, prédit un juriste bruxellois. Une procédure qui pourrait avoir pour effet de suspendre tous les renvois, prévient-il.
Les doutes autour du "un pour un"
Cet engagement européen, qui ne concerne que les Syriens, inquiète plusieurs pays de l'Union, qui s'est déjà déchirée pour se répartir des demandeurs d'asile depuis l'Italie et la Grèce (160.000 places agréées, moins de 1.000 remplies).
Pour les rassurer, la Commission assure qu'il n'y aura aucun nouvel effort dans l'immédiat: le dispositif ferait appel, dans un premier temps, à 72.000 places d'accueil prévues dans deux schémas de répartition déjà décidés par les 28, mais non encore utilisés. Au-delà, "l'accord devrait être revu", précise un document servant de base de négociation qui a fuité.
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