"Pour nous, pour la Turquie, la question des réfugiés n'est pas une question de marchandage, mais une question de valeurs humanitaires, ainsi que de valeurs européennes", a averti M. Davutoglu à son arrivée à un sommet crucial de l'Union européenne.
La Turquie répète à l'envi que l'accord sur la crise migratoire qu'elle a proposé aux dirigeants européens le 7 mars --offrant de reprendre tous les migrants débarquant sur les côtes grecques, y compris les demandeurs d'asile-- répond d'abord à des considérations "humanitaires".
Mais ce projet controversé, qui prévoit des contreparties substantielles à Ankara --y compris l'octroi d'un régime sans visas pour l'UE, une accélération des négociations d'adhésion et un doublement de l'aide européenne à six milliards d'euros-- ne fait pas l'unanimité au sein des 28.
Jeudi soir, les chefs d'Etat et de gouvernement européens ont élaboré une "position commune" qui devait servir de base aux négociations vendredi matin entre M. Davutoglu, le président du Conseil européen Donald Tusk et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker.
- 'Lignes rouges' -
Ce texte édicte les "lignes rouges" à ne pas franchir dans les concessions à Ankara et dans la façon dont sera organisé, au regard du droit international, le renvoi des migrants vers la Turquie.
Un accord turco-européen serait une "bonne opportunité de mettre fin au trafic d'êtres humains" en mer Egée alors que plus d'un million de migrants ont rejoint l'UE l'an dernier, a insisté la chancelière allemande Angela Merkel, principal soutien d'Ankara.
Mais "je ne peux pas vous garantir qu'il y aura une conclusion heureuse", a tempéré le président français François Hollande.
MM. Tusk et Juncker, qui mènent cette laborieuse négociation avec le chef du gouvernement turc au nom de l'UE, espèrent malgré tout pouvoir réunir les dirigeants européens et turc autour d'une même table à la mi-journée pour sceller un accord.
Les plus réticents parmi les Européens refusent de donner un blanc-seing au régime islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan, craignant de cautionner par ce rapprochement sans précédent ses attaques contre la presse et sa gestion du conflit kurde.
"Il n'est pas question de brader nos valeurs", a prévenu le Premier ministre belge Charles Michel, refusant une négociation avec Ankara "qui ressemble parfois à une forme de chantage".
- 'Champ de mines' -
Mais aux yeux du président turc, les Européens, et la Belgique en particulier, sont bien trop complaisants envers la guérilla kurde du PKK, dont une branche dissidente a revendiqué l'attentat meurtrier commis à Ankara dimanche.
"Malgré cette réalité, les pays Européens ne font pas attention, comme s'ils dansaient dans un champ de mines", a accusé M. Erdogan.
A Bruxelles, quelques dizaines de militants kurdes scandaient vendredi matin des slogans hostiles, comme "A bas Etat fasciste en Turquie!", à deux pas du bâtiment où se tenait la réunion.
Le négociateur en chef turc, Volkan Bozkir, a pour sa part prévenu que l'offre d'Ankara était "un tout". "Si elle n'est que partiellement acceptée, elle ne sera plus sur la table", a-t-il insisté dans le journal Sabah.
Plusieurs capitales européennes craignent que la mesure phare du plan en négociation --le renvoi de tous les nouveaux migrants arrivant en Grèce depuis la Turquie, y compris les demandeurs d'asile-- soit illégale, après que l'ONU eut pointé un risque de "possibles expulsions collectives et arbitraires".
Mais la Commission européenne a assuré que tout accord respecterait le droit international, promettant des procédures individualisées et la possibilité de faire appel.
D'autres, à commencer par Chypre, sont opposés à une accélération des négociations d'adhésion, au point mort depuis des années.
Aux termes du pré-accord, les Européens s'engageraient, pour chaque Syrien renvoyé, à "réinstaller" dans l'UE un autre Syrien depuis la Turquie. Ce dispositif serait dans un premier temps plafonné à 72.000 places offertes en Europe.
La Turquie compte aussi arracher une nouvelle aide substantielle de l'UE, qui pourrait jusqu'à doubler la promesse actuelle de trois milliards d'euros pour améliorer les conditions de vie des 2,7 millions de Syriens réfugiés sur le sol turc.
Depuis le début de l'année, plus de 143.000 personnes sont arrivées en Grèce via la Turquie, selon l'ONU.
Cet afflux, combiné avec la fermeture de la "Route des Balkans", place la Grèce et les 46.000 migrants qui y sont bloqués dans une situation intenable. Et accentue la pression pour que les Européens s'entendent avec Ankara.
"Ceci est comme un (camp de) Dachau des temps modernes, le résultat de la logique des frontières fermées", s'est lamenté vendredi le ministre grec de l'Intérieur Panagiotis Kouroublis en visitant Idomeni, à la frontière avec la Macédoine désormais fermée.
"Construire des murs, discriminer des gens ou les renvoyer n'est pas une réponse au problème", a insisté le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon.
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