C'est jour de tournoi au casino Grosvenor Victoria de Londres et la salle de poker résonne du cliquetis des jetons qui s'entrechoquent.
Les joueurs sont assis autour de larges tables recouvertes de feutre noir, concentrés, indifférents au va-et-vient de serveuses court-vêtues glissant entre les rangs pour distribuer cafés, bières ou fish and chips.
Avec son look hippie -- foulard baroque, coupe Beatles et tee-shirt mauve --, Charlie Carrel dénote. D'un geste rapide et précis, il inspecte ses cartes posées sur le tapis, en soulevant très légèrement les coins, et mise.
Pas l'ombre d'un tressaillement sur son visage: bonne chance à qui tenterait d'y déceler un "tell", terme qui, dans le jargon du poker, désigne toute attitude livrant des indices sur le jeu d'un joueur.
On ne saurait en dire autant de son adversaire. Nerveux, suant, il épie Charlie du coin de l'oeil, scrute son propre jeu, hésite, examine ses cartes à nouveau, tergiverse, et, finalement, se couche en soupirant, comme s'il se reprochait d'avoir cédé à un coup de bluff.
"Une grande partie du jeu repose sur la capacité à contrôler ses émotions", explique Charlie Carrel à l'AFP.
- As à douze ans -
A 22 ans, ce Britannique issu d'un milieu "modeste" est à la tête d'une petit fortune: plus de 2 millions de dollars glanés en une poignée de tournois qui lui ont valu le titre "d'étoile montante" du poker décerné par PokerListings.com.
"Je passe ma vie dans les hôtels du monde entier et le poker est mon gagne-pain", répond Charlie quand on lui demande de se présenter.
Mais, corrige-t-il aussitôt, "je ne me décrirais pas comme un joueur de poker professionnel, parce qu'il y a des choses bien plus importantes dans ma vie".
"Qui je suis? Quelqu'un qui s'intéresse à la politique, aux questions éthiques, au débat d'idées, à la philosophie, à l'économie".
Charlie Carrel a 12 ans quand il signe son premier coup d'éclat, lors d'une partie mémorable qui ferait bonne figure dans un film.
"Mon père jouait avec des amis dans un pub", raconte-t-il. "Mais comme il était bourré, il m'a donné le contrôle des opérations et j'ai fini par plumer les autres joueurs".
Cette insolente réussite reste dans un premier temps sans lendemain, et Charlie retourne vaquer à des occupations plus en phase avec son âge: faire les 400 coups avec les copains, jouer aux jeux vidéo.
C'est à 19 ans qu'il renoue avec le démon du jeu. Sur les conseils d'amis, il joue dix livres sur un site de poker en ligne, gagne, et réalise qu'il a sans doute un petit supplément de talent que les autres n'ont pas.
C'est à cette époque également qu'il commence à s'entraîner "sérieusement" avec son meilleur ami. "On allait chez lui tous les jours après l'école, on séchait aussi parfois pour jouer".
- Le poker ? Un "tremplin" -
Plutôt que l'université, Charlie choisit de s'installer à Jersey, chez sa grand-mère, pour parfaire sa pratique, au prix d'une vie quasi-monastique.
Mais en s'isolant de ses proches, Charlie se rapproche du plus haut niveau et commence à cumuler les victoires, jusqu'au tournoi EPT de Monte-Carlo en 2015 où il remporte 1,2 million de dollars.
Ce qu'il aime dans le poker ? "Le challenge intellectuel", le côté "intuitif", plus que le "jeu pour le jeu", répond cet amateur de heavy metal comme de musique classique.
Quant à ce qui fait son talent... "Difficile de répondre sans paraître terriblement arrogant", avance prudemment Charlie.
"Je suis plus malin que la moyenne. J'ai des connaissances en mathématiques", poursuit-il. "Je suis détaché de l'argent, quand je perds, je n'en fais pas toute une histoire".
Charlie Carrel entretient d'ailleurs un rapport plutôt déroutant avec les sommes très confortables accumulées ces derniers mois.
"Il n'est pas logique que je gagne des centaines de milliers de livres en jouant alors qu'ailleurs dans le monde, il y en a qui pourraient sauver des vies avec", dit-il en assurant vouloir, à terme, "investir dans la philanthropie", et s'imagine médecin, psychologue ou historien.
"Le poker, résume-t-il, c'est juste un bon tremplin pour faire autre chose".
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