A la mi-janvier, Mohammed Daha, alias Moh Vita Boy, 29 ans, a été interpellé par la police pour occupation illégale de l'espace public.
Cette interpellation a engendré un large mouvement de solidarité suivi d'un concert improvisé sur l'une des places les plus fréquentées d'Alger, une ville de plus de trois millions d'habitants dépourvue d'une vraie salle de concert.
Il y a un besoin pressant chez les jeunes Algérois de réinvestir l'espace public et de réveiller leur ville endormie, expliquent à l'AFP Idir Tazerout et Mehdi Mehenni, organisateurs de la mobilisation sur les réseaux sociaux.
"Les gens qui ont soutenu l'artiste voulaient depuis longtemps sortir dans la rue, non pas pour semer l'anarchie mais pour s'exprimer tout simplement", constate Mehdi.
En réponse à la mobilisation, le maire d'Alger Abdelhakim Bettache a rapidement octroyé une autorisation au musicien, avant d'appeler tous les artistes désireux de se produire sur les trottoirs à venir se présenter à la mairie.
"Depuis le contrôle de Mohammed, nous avons reçu une dizaine de demandes d'autorisation (?) il n'y a eu aucun refus, nous sommes là pour les encourager", dit le maire à l'AFP.
- Ressusciter Alger la Blanche -
Abdelhakim Bettache considère que l'une de ses missions est de ranimer les rues de la capitale meurtrie par dix ans de guerre civile. "Ce n'est plus l'Alger d?avant, Alger la Blanche qui vit la nuit", déplore le maire avant de poursuivre: "la décennie noire (années 90) a cassé cette tradition algéroise?.
Au sommet de leur ascension au début des années 1990 puis durant les années de la guerre civile, les islamistes ont commencé à prohiber tous les loisirs, accusés d'égarer les âmes des fidèles loin des sentiers de la foi. Des artistes ont été assassinés, poussant de nombreux autres à s'exiler ou à déserter la scène artistique.
Avant cette vague de terreur, les grandes villes algériennes étaient célèbres pour leurs cafés animés et leurs souks où déambulaient sorciers et poètes.
A Oran, la grande métropole de l'ouest, berceau de la musique raï, Ahmed Mokbel, 55 ans, a retrouvé son public qu'il avait fui après deux attentats avortés dans les années 90. Dans cette ville ont été assassinés deux grands artistes: le dramaturge Abdelkader Alloula et le prince du raï Hasni.
Pour ressusciter Alger la blanche où guitaristes et joueurs de flûte distillaient la bonne humeur, le maire compte bien s'appuyer sur les artistes de rue, à condition qu'ils soient identifiés et qu'ils acceptent de se produire dans des lieux prédéterminés par la mairie. "Nous avons besoin de beaucoup de Mohammed, mais pas tous au même endroit", prévient le maire de la capitale.
- Une 'récupération' par le pouvoir -
Mais cette volonté de contrôle n'est pas vue d'un bon ?il par tous les artistes. Certains comme Hussein considèrent qu'ils devraient avoir le droit de jouer là où ils le souhaitent tant qu'ils ne font pas trop de bruit. "Je suis un homme libre, je ne peux pas demander une autorisation pour chaque lieu où je joue", s'indigne le musicien.
Les instigateurs de la campagne de solidarité avec Mohammed Daha dénoncent, eux, une "récupération" du mouvement par les autorités. "Le pouvoir algérien veut contrôler (?) tout ce qui lui échappe, ça lui fait peur", dénonce Idir Tazerout.
Il essaie de profiter de toutes les initiatives susceptibles de donner l'image d'un pouvoir qui laisse ses jeunes s'exprimer librement, ajoute-il.
Symptôme révélateur, selon lui: la municipalité a demandé à Mohammed Daha de jouer dans les rues lorsque les maires de Paris et Bordeaux (sud-ouest de la France), Anne Hidalgo et Alain Juppé, sont venus début février visiter la capitale algérienne.
Moh Vita Boy préfère quant à lui rester au-dessus de la mêlée, simplement heureux de pouvoir jouer sans être importuné. "Je joue de la guitare, je ne fais pas de politique", lance-t-il avant de se remettre à chanter. Des passants s'attroupent: un jeune homme en survêtement s?arrête pour rapper, une fille coiffée d'un hijab pousse la chansonnette. "Vous avez illuminé ma journée", s?exclame une dame très chic.
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