Dans une pièce voisine, des cuves de pâte alignées sur une table dégagent une forte odeur.
Et plusieurs étages au-dessus de ce laboratoire, un chef cuisinier plonge, devant ses élèves, un ballon vert plein de fromage crémeux dans un bol fumant d'azote liquide, une technique de cuisine moléculaire enseignée au Centre culinaire basque (BCC).
Cette école de gastronomie de Saint-Sébastien illustre la révolution culinaire en cours depuis 40 ans au Pays basque (nord de l'Espagne), connu pour sa haute gastronomie et les expérimentations moins consensuelles qui l'accompagnent.
"Dans beaucoup d'endroits du monde, ce que nous proposons entraine une certaine aversion", témoigne Andoni Luis Aduriz, professeur au BCC et chef du restaurant innovant Mugaritz, qui figure régulièrement parmi les meilleurs établissements du monde dans le classement international des "50 Best".
"Au Pays basque, un certain nombre de restaurants sont sortis du cadre de la tradition, et tentent de trouver de nouvelles options", explique encore le chef de 44 ans.
De la glace pilée aromatisée au jus de crevette aux morceaux de pomme recouverts d'une substance rappelant la moisissure, Andoni Luis Aduriz et son équipe aiment déconcerter leurs clients en ayant recours à la science.
- Bulles et glands fermentés -
Les clients ont par exemple découvert que ce qui ressemblait à du pain moisi était en réalité un pain dans lequel on avait injecté les champignons germant dans le roquefort, lui donnant un délicieux goût de fromage.
Mais l'approche expérimentale d'Andoni Luis Aduriz va au-delà de son restaurant étoilé près de Saint-Sébastien. Avec sa brigade, il a travaillé en étroite collaboration avec des scientifiques pour inventer de nouvelles textures.
L'équipe a par exemple travaillé avec un "rhéologiste", autrement dit un spécialiste de la déformation et de l'écoulement de la matière, pour créer des bulles comestibles. Ils ont ainsi obtenu des bulles au chocolat ou au miel, parfois servies avec de la crème glacée ayant la forme d'un savon.
Mais les cuisiniers ont vite réalisé que jouer avec les textures pouvait déboucher sur d'autres choses, comme confectionner des plats pour les personnes ayant des difficultés à avaler.
Comme d'autres chefs basques, Aduriz travaille avec le BCC qui, en plus d'enseigner la gastronomie, dispose d'une équipe de nutritionnistes, de chimistes et de cuisiniers menant à bien leurs expérimentations.
Un projet en cours consiste ainsi à étudier l'activité cérébrale en fonction des aliments ingérés, mesurée à l'aide de capteurs, afin de savoir d'où vient exactement le plaisir visuel et gustatif.
"Nous sommes le fruit d'une évolution culinaire où l'innovation a eu un rôle très important", explique Joxe Mari Aizega, directeur du BCC. "Tout a commencé il y a plus de trente ans."
- Aux origines -
Plus précisément en 1976, quand les restaurateurs basques Juan Mari Arzak et Pedro Subijana ont rencontré, en marge d'une table ronde à Madrid, le chef Français Paul Bocuse.
A l'époque, la "nouvelle cuisine" de Bocuse, plus légère et délicate, bouscule la France.
De retour à Saint-Sébastien, ils s'inspirent de lui et secouent le Pays basque, connu pour son identité forte et son amour de la bonne chère.
La cuisine y est si prisée que des hommes y créent des clubs privés - dont certains existent encore - pour cuisiner entre eux.
Juan Mari Arzak et Pedro Subijana réinterprètent des plats traditionnels jugés trop lourds ou trop cuits, en y introduisant d'autres ingrédients étrangers et diffusent la haute cuisine, lançant la révolution culinaire basque.
Mais ce n'est qu'avec Ferran Adria, originaire de la Catalogne, autre région à forte tradition culinaire au nord-est de l'Espagne, que la révolution éclate et dépasse les frontières.
Le père de la cuisine moléculaire transforme cet art en déconstruisant et en reconstruisant les ingrédients, faisant émerger la gastronomie espagnole au niveau mondial.
Des chefs basques, et d'autres du monde entier, lui emboîtent alors le pas.
"Ce sont les premiers à avoir conçu un repas comme une succession de +tapas+ (amuse-gueule), permettant de déguster plein de petites bouchées. On trouve cela partout maintenant", témoigne Alexandre Gauthier, chef français qui se rend régulièrement en Espagne.
"D'un seul coup, manger, ça peut aussi être une expérience... Ils ont amené des textures nouvelles, des approches nouvelles", dit-il.
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