"J'avais 5, 10, 15 sépultures prêtes d'avance. Je ne pouvais attendre qu'arrivent les cadavres", raconte à l'AFP cet homme de 60 ans, qui maintenant collabore avec les autorités judiciaires pour exhumer une soixantaine de corps.
Avec quelque 460 morts inconnus répertoriés, le cimetière de La Macarena (département de Meta) n'est même pas celui qui officiellement en compte le plus en Colombie.
Mais une rumeur, selon laquelle il pourrait en réalité en contenir 2.000, a motivé une investigation dans ce secteur, théâtre de combats violents entre la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc, marxistes) et l'armée.
Dans les années 2002 à 2010, les cadavres arrivaient par hélicoptère. Les militaires les déchargeaient et les villageois se précipitaient pour vérifier si un des leurs se trouvait parmi les morts.
Puis Jesus Hernandez les enterraient et, sur les tombes de ceux que personne n'avait identifiés, il apposait une plaque blanche comportant deux lettres noires: "On inscrivait N.N. (abréviation du latin "nomen nescios", nom inconnu), un numéro de registre et c'est tout."
- Guérilleros et 'faux positifs' -
Désormais, il s'agit de les retrouver dans ce cimetière aride de 3 km2, là où la terre est plus claire, le sol un peu enfoncé, signaux de fosses dont les plaques ont disparu avec le temps. A ce jour, 320 tombes individuelles ont été repérées.
Quand les cadavres sont exhumés, en présence d'une vingtaine d'experts du parquet, le croque-mort est le seul à ne pas porter de masque, à supporter l'odeur. Les gens disent de lui qu'il en a tant vus qu'il n'a plus de tripes.
"J'aidais le docteur pour la nécropsie parce qu'ici il n'y avait pas de médecine légale. Je les maquillais, les arrangeais, les mettais dans un sac, et voilà", explique-t-il.
Selon le parquet, 2.310 personnes non identifiées seraient enterrées dans les cimetières des Llanos Orientales, région rurale sous forte influence de la guérilla des Farc, qui négocie la paix depuis 2012 avec le gouvernement.
Parmi ces "N.N." figurent des combattants des Farc, mais aussi des "faux positifs" ou civils déclarés comme guérilleros morts au combat par des militaires, qui tentaient ainsi d'obtenir permissions et promotions.
- 'Un enterrement digne' -
Le conflit armé, qui dure depuis plus d'un demi-siècle, a, selon les derniers chiffres officiels, fait 7,5 millions de victimes, dont plus de 260.000 morts, 45.000 disparus et 6,6 millions de déplacés.
Le parquet insiste sur le "caractère humanitaire" de l'agrément, signé en octobre dans le cadre des pourparlers de paix, pour identifier les disparus. Il n'est pas question de chercher les coupables, seulement de "soulager la douleur des familles".
Quand il est arrivé à La Macarena, Jesus Hernandez fuyait son village de Tenjo (Boyaca), à plusieurs centaines de kilomètres de là, où la guerre lui a pris ses parents et ses frères, qui "ont été criblés de balles".
Puis il a été menacé par des guérilleros l'accusant de collaborer avec l'armée, ou par des familles dont des proches avaient disparu. Et il y a quatre ans, il a fini par quitter La Macarena. Il n'y revient que lorsque le parquet a besoin de son aide.
"Certains cimetières tenaient un registre des personnes non identifiées, mais parfois ils se sont perdus", selon Maria Paulina Riveros, directrice des Droits humains au ministère de l'Intérieur et déléguée du gouvernement aux négociations avec les Farc.
Jesus Hernandez salue l'impulsion donnée par le processus de paix à la recherche des disparus. "Nous allons les trouver, affirme-t-il, pour qu'ils soient identifiés et que la famille vienne et dise: +C'est mon fils, mon frère, mon oncle, etc."
"Qu'ils viennent et disent: +Je vais lui offrir un enterrement digne+", ajoute le croque-mort, face à des dizaines de croix sous lesquelles reposent des défunts que quelqu'un pleure.
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