Cas unique en Île-de-France, ce lieu expérimental, ouvert en août 2014 dans cette banlieue chic du Val-de-Marne, est intégralement financé - un million d'euros par an - par la RATP, qui a réaménagé un ancien local technique de près de 300 m2.
"Vous m'attendez les garçons?" Ingrid, 47 ans, seule femme du groupe, ne veut pas manquer le départ. "Charenton, c'est très prisé, il y a beaucoup de demandes!", dit-elle, bien renseignée. "Pour eux, c'est le top, une sorte de centre cinq étoiles", plaisantent Henri et Sébastien.
A l'intérieur, des rangées d'yeux fixent une grande télévision branchée sur une chaîne d'info en continu. A côté, une partie de tarot s'organise, pendant que d'autres reprennent la lecture d'un roman trouvé dans la petite bibliothèque.
"C'est le meilleur site qui puisse exister", assure Gilou, fort de son expérience, "douze années de rue". "On y est bien reçu, il y a la douche, on vous donne des fringues, à manger. Ailleurs, y'a que dalle à part un petit café et la télé", détaille ce frêle sexagénaire, cheveux blancs, qui aime se présenter comme "le doyen".
Jean-Jacques, sans toit depuis deux ans, vient de découvrir ce lieu mais s'est déjà fait "des potes" avec qui il vient "jouer à la belote". "La rue, c'est l'alcool, l'agressivité. Ici tout ça s'élimine", résume-t-il.
Le social se conjugue bien sûr au commercial: "il s'agit de donner un aspect visuel des quais plus agréable aux usagers", concède Sébastien, l'agent RATP.
- 'Travail de dentelle' -
Charenton rime aussi avec sélection. Quand les quinze centres de jour de Paris enregistrent jusqu'à 300 passages quotidiens et ferment aux heures de bureau, Charenton limite son accueil à 40 personnes, en semaine de 07H00 à 23H00, le week-end de 09H00 à 18H00.
"Il était capital de passer outre le sacro-saint principe de l'inconditionnalité. On a trop souvent payé la rançon du souci éthique de vouloir accueillir tout le monde", explique Patrick Henry, chargé de la lutte contre la grande exclusion à la RATP.
Seuls ceux pris en charge par le Recueil social sont autorisés à franchir la porte. Ce service, né en 1992, repose sur le travail d'agents volontaires de la RATP qui sillonnent les couloirs du métro pour sortir les 300 SDF qui, chaque nuit en moyenne, dorment sous terre.
"Ce sont eux les plus cassés, les plus abîmés. Le métro, c'est un refuge pervers. Toujours le même bruit, la même lumière, la même température. La désocialisation est ultra-rapide. L'idée c'était de leur réserver un endroit calme, zen, où on ne les fait pas chier", poursuit M. Henry, premier médecin à ouvrir des consultations aux SDF à Nanterre (Hauts-de-Seine), au début des années 1980.
Une vingtaine de salariés d'Emmaüs Solidarité s'occupe de l'accompagnement social (distribution de repas et vêtements, activités ludiques...) tandis qu'une association partenaire, Aurore, prend en charge le volet médical.
"On fait du travail de dentelle", souligne Bruno Morel, directeur général d'Emmaüs Solidarité, énumérant les "prestations" proposées: six travailleurs sociaux, un psychologue à temps plein et même un réducteur de risques.
Ce spécialiste des addictions, à l'alcool ou aux drogues, organise "des groupes de parole", reçoit dans un bureau sur place "à la demande" ou distribue "quelques bières" en catimini en cas de crise de manque, détaille Stéphanie Colas, responsable du site.
L'expérimentation, jugée satisfaisante, doit être prolongée de 18 mois par la signature jeudi d'une nouvelle convention. Depuis l'ouverture "nous avons enregistré 14.000 passages, représentant 1.000 personnes différentes", dit M. Morel. "Il y a une fidélisation. Cette structure est devenue un point de repère."
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