La décision est tombée la semaine dernière: la moitié de la "Jungle" va être détruite. Une restructuration drastique, qui suppose pour les autorités de trouver les bons arguments afin de convaincre des migrants oscillant entre résignation et refus à l'idée de déménager du plus grand bidonville de France.
En cette après-midi de février, les représentants de l'Etat arpentent les allées boueuses du camp pour informer les habitants désoeuvrés. "Vous ne pouvez pas rester, cette partie va être détruite, nous avons des solutions à vous proposer", répète Laurence Lecoustre, directrice adjointe de la Direction départementale de la cohésion sociale.
La préfecture, qui compte démanteler toute la moitié sud de la "Jungle", a donné jusqu'à la fin de la semaine aux migrants pour enclencher le mouvement. Cela signifie déménager entre 800 et 1.000 personnes selon elle, mais deux fois plus selon les associations, qui soulignent combien cette partie concentre la vie sociale du bidonville, avec ses commerces, ses centres d'information...
Les exilés peuvent soit déménager dans les conteneurs ouverts au nord du camp, soit partir en bus pour des Centres d'accueil et d'orientation (CAO).
Selon les services de l'Etat, 2.584 migrants ont d'ores et déjà accepté de partir vers 98 CAO, où ils peuvent "reconsidérer leur projet d'immigration vers le Royaume-Uni".
Depuis, seuls "15 à 17% d'entre eux les ont quittés", se félicite la préfecture. Pour vanter ce dispositif, trois migrants installés en CAO en Bretagne devaient d'ailleurs venir raconter leur expérience mercredi.
L'ensemble du dispositif (maraudes, cars) a été intensifié cette semaine. "L'objectif est de faire partir les gens très rapidement, dans la journée si possible", indique Mme Lecoustre. Mardi, 68 personnes ont ainsi pris l'autocar pour l'ouest et le centre de la France.
Mais le rêve de traverser la Manche reste tenace. Assis autour d'une marmite de pois chiches, quatre Afghans promettent mollement de réfléchir à l'offre des autorités. Avant de préciser: "Ca a été difficile d'arriver jusqu'ici. On ne va pas abandonner", explique Rahim, 25 ans.
- Méfiance -
L'alternative en conteneur suscite aussi des réserves, nourries d'une méfiance du dispositif largement répandue.
"Il n'y a pas d'endroit pour faire la cuisine. On prend nos empreintes. Je ne veux pas être enfermé la nuit", lance "Black", un jeune Soudanais au ton passionné, qui assure "préférer mourir" que quitter sa tente de force.
Stéphane Duval, le directeur de la Vie active qui gère le camp de conteneurs, soupire à l'évocation de ces craintes. "Les migrants sont libres d'aller et venir jour et nuit", explique-t-il, en assurant que le système de reconnaissance palmaire mis en place à l'entrée du site vise à assurer la sécurité et empêcher les trafics.
Sur les 1.500 places du camp de conteneurs, 995 étaient occupées mardi. Les pouvoirs publics mettent aussi en avant le dispositif existant au centre Jules Ferry voisin: distribution quotidienne d'environ 1.500 petits-déjeuners et 2.500 repas, présence d'un centre médical et de 160 travailleurs sociaux, de douches... pour offrir des conditions plus dignes que sous les tentes.
Les conteneurs, alignés au cordeau derrière de hauts grillages, sont d'une netteté irréprochable, immaculés sur le gravier blanc. A l'intérieur, des dortoirs fonctionnels, avec douze lits superposés, des radiateurs permettant de sécher les vêtements et des casiers métalliques. Des préaux avec prises électriques et des "lieux de convivialité" ont été prévus.
"Oui, mais on s'ennuie", explique en riant Arach, originaire de Kunduz (Afghanistan), et installé en dortoir avec une dizaine de ses amis. Lui non plus n'a pas abandonné son rêve de Grande-Bretagne: "J'essaie tous les soirs", lance-t-il crânement.
Entre deux tentatives, pour l'animation et la solidarité, il préfère sortir du camp de conteneurs, et traîner entre les restaurants de la zone sud - ceux-là même qui sont promis à une démolition prochaine.
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