En robe ou en civil, visages fermés, les représentants de tous les métiers de cette juridiction ont, de façon inédite, parlé d'une même voix lors d'une conférence de presse. Dans la grande salle d'assises, comble, ils ont livré le récit édifiant de la façon dont est rendue la justice en Seine-Saint-Denis, où une famille sur trois vit sous le seuil de pauvreté.
"Dramatique", "insupportable", "indigne", "cocotte minute en voie d'explosion"... Juge pour enfants, juge aux affaires familiales, juge d'instruction, substitut du procureur, greffière, avocats, tous ont lancé le même cri d'alarme: Bobigny manque d'abord de moyens humains.
Au 1er janvier, il manquait au tribunal de grande instance 24 juges à temps plein sur les 124 postes prévus, et 9 procureurs pour un effectif théorique de 53. Contraignant en décembre sa présidence à une prendre une décision choc: supprimer 20% de ses audiences prévues en 2016.
Quitte à allonger encore des délais d'attente devenus "déraisonnables": un an pour voir un juge aux affaires familiales - "là où deux mois suffisent à Paris", selon le bâtonnier -, deux à trois ans pour régler un divorce contentieux, jusqu'à six pour juger de grosses affaires de trafic de stupéfiants.
"Toutes les décisions que je rends sont illégales, car trop tardives", a ainsi lâché Nathalie Rubio, juge aux affaires familiales, dans un sourire désespéré. Dans ses armoires - mais aussi entassés à même le sol -, 10.000 dossiers (divorces, pensions alimentaires, droits de visite...) attendent d'être examinés.
"Tout cela ne correspond plus à ce que les justiciables sont en droit d'attendre de la justice dans une démocratie", a résumé sa collègue, la juge Dominique Pitillonni.
- L'Etat bientôt attaqué -
Dans le 93, des villes entières n'ont plus de juge pour enfants. "Concrètement, à Saint-Ouen ou à Epinay, ça veut dire que nous n'avons plus de réponse pénale pour des jeunes qui entrent dans la délinquance", a détaillé Emmanuelle Teyssandier, coordinatrice du tribunal pour enfants.
Mais ce sont aussi les problèmes matériels qui minent le vaste paquebot de verre d'acier bleu qu'est le TGI de Bobigny: les toilettes bouchées, les fuites d'eau, le chauffage mal régulé. Mais aussi les stylos, le scotch et les enveloppes qui manquent au point que les greffiers mettent eux même la main à la poche.
"Nous ne laisserons pas couler le paquebot" , a pourtant prévenu le bâtonnier Stéphane Campana, qui en "appelle à la chancellerie" et "espère que, dans la prochaine loi de finances, l'appel de Bobigny sera entendu".
Dans la salle, des élus - le président PS du conseil départemental Stéphane Troussel, le député UDI Jean-Christophe Lagarde, la sénatrice écologiste Aline Archimbaud - étaient présents pour afficher leur soutien.
"Comment expliquer à des gens qui sont dans des situations économiques, sociales, voire psychologiques dramatiques qu'il faut encore attendre?", s'est encore interrogé le bâtonnier.
Le barreau de Seine-Saint-Denis a décidé la semaine dernière d'attaquer l'État en "déni de justice" compte tenu des délais devenus "insupportables". Les avocats ont convenu "d'engager une action en responsabilité de l'État" en rassemblant d'ici le 8 mars des dizaines d'assignations au nom de leurs clients les plus lésés par l'allongement de ces délais.
La solution? "Il ne faut pas se leurrer, on ne s'attend pas à des lendemains qui chantent", dit Maximin Sanson, juge d'instance. "Il aurait fallu anticiper car il faut trois ans pour former un magistrat. Si on nous donne des moyens en plus en septembre, ce sera au détriment des autres tribunaux", prédit-il.
Or, le tribunal de Bobigny n'est pas le seul à souffrir. Pour Nathalie Roret, avocate membre du Conseil national du barreau, "le même appel au secours pourrait être lancé depuis Evry ou Créteil".
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