Cette nuit de novembre, sur des lits d?hôpitaux, à la morgue ou derrière des paravents installés à la mairie du XIe arrondissement, le professeur Thierry Baubet et ses confrères des "cellules médico-psychologiques d'urgence" ont vu défiler des centaines de victimes en "état de choc". "Complètement mutiques". Ou capables "de parler plus d'une heure non-stop, après avoir passé la nuit à errer dans la rue".
"Des situations très bouleversantes", lâche le psychiatre, pourtant aguerri. "Ce qui est inédit, c'est la massivité: entre les blessés, les endeuillés et les témoins, 5 à 6.000 personnes ont été touchées. Et cinquante enfants ont perdu leur parents", décompte-t-il, visiblement ébranlé.
Les soignants, "pour la plupart des jeunes vivant dans l'Est parisien", ont dû faire un peu plus de "débriefings" que d'habitude. Et s'efforcer de garder "la distance thérapeutique", précise sa collègue, la psychologue Héloïse Marichez.
Trois mois plus tard, plusieurs dizaines de ces victimes continuent de s'asseoir face à Thierry Baubet et à ses collègues, dans une des rares consultations dédiée aux "psychotraumatismes", à l'hôpital Avicenne.
Là, on tente de les aider "à trouver un sens à la vie du quotidien", "sans essayer de donner du sens aux événements", explique Héloïse Marichez. Le travail consiste aussi, "pour avancer", "à faire le deuil de l'insouciance et de la naïveté, car leur vie ne sera plus jamais la même".
- Patients âgés de 4 ans -
Troubles du sommeil, flash-backs, anxiété, hypervigilance, troubles du comportement: le tableau clinique du post-traumatisme est bien connu. "Pour des gens qui ont de bonnes ressources, le traumatisme peut pourtant se négocier en deux ou trois séances. Quand c'est pris plus tard, on sait que ce sera plus long", s'alarme la psychologue, qui suit des victimes âgées de 4 à 50 ans.
"Cette semaine, sept à huit personnes qui n?avaient pas encore consulté nous ont contactés dans des états de détresse", poursuit le professeur Baubet, rappelant que "quand ces troubles sont installés, ils vont généralement empirer" (dépression, conduites addictives, idées suicidaires...).
Le chef de la consultation ne voit par ailleurs pas forcément d'un bon oeil le groupe Facebook qui réunit les rescapés. "Les victimes ont l'impression qu'elles sont perdues si elles se séparent du groupe, notamment car elles pensent que leurs proches ne peuvent pas les comprendre. C'est à double tranchant", estime-t-il. "Les récits semblent êtres tous les mêmes : au Bataclan, c'est les corps, la fosse, le sang. Mais, en réalité, chaque expérience est unique et, au-delà d'une certaine horreur, il n'y a plus de mots pour la partager", dit-il.
Toutes les trois semaines, Mathieu, un Parisien de 35 ans, fait près d'une heure de transports pour rejoindre Avicenne. Le 13 novembre, il était à la Bonne Bière, où cinq personnes ont été tuées et plusieurs autres grièvement blessées.
Lui qui avait "une dent contre les psys" a un peu hésité à consulter, mais il y avait "ce truc bloqué" dans sa gorge et "ces larmes qui n'arrêtaient pas de monter".
"Le jeudi, je suis allé à ma première séance: j'ai raconté toute ma version de l'histoire, dans le moindre détail. Ca m'a fait un bien fou de vider mon sac. En une séance, l'essentiel du boulot était fait", dit-il.
Ce qui l'a "libéré", ce sont aussi les trois minutes d'explication de sa psychologue: "comprendre que le cerveau est une machine et réagit avec des mécanismes précis, ça permet de mettre de la distance".
Au secrétariat de la consultation, le téléphone sonne encore beaucoup. "Je n'avais jamais vu ça, autant d'appels, autant de nouveaux dossiers", souffle la secrétaire. Car il y a les nouveaux, et les anciens: depuis novembre, les médecins ont aussi vu "réapparaître" beaucoup de leurs ex-patients. A commencer par les otages de l'Hyper Cacher.
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