Moine soldat de la rigueur budgétaire devenu le ministre menteur qui a ouvert une première brèche dans un quinquennat voulu "exemplaire", Jérôme Cahuzac, 63 ans, était jugé depuis lundi devant le tribunal correctionnel de Paris pour fraude fiscale, blanchiment et pour avoir "minoré" sa déclaration de patrimoine en entrant au gouvernement en mai 2012.
Son ex-épouse Patricia Ménard, est poursuivie comme lui pour fraude et blanchiment. Leurs anciens conseillers, le banquier suisse François Reyl et l'ancien avocat Philippe Houman doivent eux répondre de blanchiment. Tous encourent jusqu'à sept ans de prison et un million d'euros d'amende.
Le tribunal a estimé mercredi que le procès devait être reporté pour permettre l'examen, par la Cour de cassation puis le Conseil constitutionnel, d'une "question prioritaire de constitutionnalité" (QPC) de la défense contestant le cumul de sanctions pénales et fiscales en matière d'impôt sur la fortune (ISF).
"Double poursuite, double sanction!", avait dénoncé la défense. Les avocats des Cahuzac avaient rappelé que leurs clients avaient "accepté un redressement fiscal majoré de 80%", d'un montant de plus de 2,3 millions d'euros, dont 500.000 euros de pénalités.
- "Acharnement"? -
Dénonçant un "acharnement", Me Jean Veil, un des conseils de Jérôme Cahuzac, a jugé le "cumul" des poursuites "irrégulier et contraire à la Convention européenne des droits de l'Homme". Sébastien Schapira, avocat de Patricia Cahuzac, a appelé à prendre en compte "la sévérité de la sanction" déjà acquittée.
Cinglant, le procureur Jean-Marc Toublanc avait rappelé au fraudeur la rigueur qu'il prônait à Bercy, s'étonnant qu'il ait fait voté une loi "pour renforcer la sanction de la fraude fiscale" et qui ne devrait aujourd'hui "pas s'appliquer, à lui seul?".
Ce procès a été renvoyé pour une question quasi-identique à celle qui avait conduit début janvier au report du procès du marchand d'art Guy Wildenstein, également jugé pour fraude fiscale. Une affaire citée à la barre, de même qu'un précédent retentissant, celui d'EADS, dans lequel le Conseil constitutionnel avait mis fin à la procédure pénale car les faits avaient déjà été examinés par une juridiction administrative. Le Conseil avait invoqué le principe interdisant de juger et sanctionner deux fois le même délit.
Coup de tonnerre politique, l'affaire Cahuzac débute en décembre 2012, quand le site Mediapart révèle que le ministre a possédé un compte caché à l'étranger. Alors drapé dans son costume de redresseur de comptes, il commence par tout nier. Mais les preuves s'accumulent, il démissionne en mars 2013 puis passe aux aveux en avril.
L'instruction démontera les mécanismes d'une fraude fiscale "obstinée", "sophistiquée" et "familiale".
Il fallait placer l'argent qui coulait à flot, des revenus de la clinique spécialisée dans les implants capillaires tenue par les époux Cahuzac, mais aussi des prestations du chirurgien, ex-conseiller ministériel, auprès de laboratoires pharmaceutiques.
Sont décrites les routes toujours plus sinueuses de la fraude. Un premier compte ouvert par un "ami" en 1992, puis un autre au nom de Cahuzac. Lorsque le sacro-saint secret bancaire suisse se fissure en 2009, les quelque 600.000 euros qu'y détient Jérôme Cahuzac prennent la route de Singapour, via une société enregistrée aux Seychelles et mise en place par un intermédiaire à Dubaï.
Les époux ouvrent aussi ensemble un compte sur l'île de Man en 1997 pour déposer des chèques de leurs patients anglais. Patricia Cahuzac ouvre en 2007 son propre compte suisse, sur fond de brouille avec son époux.
Jérôme Cahuzac a reconnu des livraisons d'argent liquide à Paris, la main à la main. Même les comptes de la mère de l'ex-ministre ont servi à "blanchir" des chèques établis par des clients de la clinique.
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