En poussant les lourdes portes de l'église Saint-Exupère, à Toulouse, le nouvel arrivant ne reçoit pas un programme comme les autres.
Car celui-ci ne se contente pas de présenter l'oeuvre de Bach mais inclut également la partition du choral final, avec les paroles en allemand et même une transcription phonétique pour ceux que la langue de Goethe rebuterait.
"Ceci n'est pas un concert", précise-t-on sur le feuillet, le but de "Cantates sans filet" n'est pas simplement de donner des récitals, tous gratuits, mais de faire participer le public, si néophyte soit-il.
L'idée de jouer les 200 cantates de Bach est née d'une volonté de ressusciter des oeuvres largement oubliées. "Elles ne passent pas bien en concert car elles ne sont pas faites pour ça. C'est donc une musique qui serait restée à l'état de partition", explique le chef d'orchestre Michel Brun, initiateur du projet en 2007.
Le flûtiste avoue lui-même que, avant le démarrage de "Cantates sans filet", il "n'en connaissait que quatre ou cinq".
Des intégrales, on en trouve ailleurs, mais la particularité toulousaine est la participation du public. "A l'époque de Bach (1685-1750, ndlr), les gens chantaient les cantates chez eux et à l'église, avec des belles et des mauvaises voix. C'est ce que j'ai voulu reproduire", explique le chef.
Ainsi, après à peine plus d'une heure d'une unique répétition, le public est invité à entonner le choral final de la cantate, se joignant aux musiciens de l'Ensemble baroque de Toulouse, créé en 1998 par Michel Brun, et à la vingtaine de choristes expérimentés de son vis-à-vis vocal, le Choeur baroque.
- Encore 17 ans -
Dans la nef bondée, l'audience frémit à l'idée de ce qui est souvent une première expérience. Mais Michel Brun est là pour rassurer jusqu'aux plus béotiens.
"J'ai moi-même découvert cette cantate il y a quelques jours", lance le chef depuis l'autel. "Franchement, pas la peine d'avoir fait 15 ans de solfège", assure-t-il.
Le directeur met l'oeuvre à la hauteur de tous. Il précise quelle syllabe doit être accentuée, aide à la prononciation de l'allemand et plaisante avec l'audience pour désamorcer le stress.
Puis il faut se jeter dans le bain musical.
Dans l'église comble, la majorité ne fait qu'ânonner, par peur de la fausse note qui vous trahirait. Mais tous participent.
"Je n'ose pas trop chanter", reconnaît dans un sourire contrit Nicole Touya. "C'est la première fois que je viens. On va à des concerts classiques mais ici, c'est pédagogique", se félicite la quinquagénaire.
"C'est très enrichissant", acquiesce Geneviève Mathieu, 54 ans, une des rares à oser chanter à gorge déployée. "J'étais à la première cantate (jouée en 2007). C'est un projet fou mais fantastique. Pouvoir participer, ce sont vraiment les conditions du temps de Bach: c'est aussi bien pour ceux qui ont un bagage musical ou pas".
Parfois, l'enthousiasme de certains vient froisser la partition. "Nous prenons des risques", avoue Michel Brun. "Mais il faut accepter les imperfections".
La formule, en tout cas, plaît, à en croire les églises toulousaines que remplit chaque prestation.
"Nous sommes aux environs de 70 cantates jouées", se félicite Michel Brun, avec d'autant plus de satisfaction que certains Cassandre lui avaient prédit qu'il "n'en ferait pas deux", souligne-t-il.
A raison de six ou sept cantates par saison (de septembre à juin), il reste 17 ans pour boucler la boucle. "J'aurai alors 75 ans. Si nous sommes devenus trop vieux, j'espère que d'autres reprendront le flambeau", ajoute le chef.
Envie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nousEnvie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nous
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.