"J'ai découvert grâce à internet que j'attendais mon troisième enfant" et que "j'étais divorcée", a ironisé la ministre de l'Education nationale, citant aussi un "complot" contre l'accent circonflexe ourdi selon la Toile par elle lorsqu'elle était en cinquième.
Le "conspirationnisme s'invite très souvent dans les salles de classe. Les enseignants sont les premiers à témoigner du fait que souvent leurs enseignements sont remis en cause, contestés, et qu'on prétend autre chose qu'on a lu sur internet, avec une rhétorique très carrée", a-t-elle expliqué lors d'une série de débats organisés par le ministère à l'occasion de la journée pour un internet sans crainte.
Il s'agit de "lancer un mouvement" pour "dire que ce sujet ne doit pas être sous-estimé par l'école, car il brouille les relations des élèves à l'institution" et "la relation des élèves au savoir", a-t-elle souligné.
"On a vu après les attentats de janvier et de novembre le nombre d'explications farfelues qui ont surgi sur internet", a-t-elle rappelé. La journée de débats doit servir de base à des ressources pédagogiques pour les enseignants. Un appel à projets sera lancé pour faire remonter les initiatives déjà lancées par des professeurs, pour les faire connaître.
Les enseignants "alertent depuis plusieurs années sur le fait qu'ils sont confrontés" à ce phénomène, a indiqué Rudy Reichstadt, fondateur de l?Observatoire du conspirationnisme et des théories du complot, évoquant "une prise de conscience" de l?exécutif dans le sillage des attentats de janvier.
- Cours d'autodéfense intellectuelle -
Le complotisme "tord la réalité dans le sens de ses intérêts", désigne un groupe d'individus (les templiers, les juifs, les illuminati, les sorcières, les Tutsi au Rwanda...) comme "porteurs d'un projet de domination". Il "inverse la charge de la preuve", demandant qu'on prouve que ce qu'il avance est faux.
"On est des enseignants, on a donc une responsabilité" vis-à-vis des élèves, qu'il faut "accompagner", a estimé Ronan Cherel, professeur d'histoire-géographie. Après l'attentat contre Charlie Hebdo, il avait été surpris d'entendre les mêmes arguments sur un complot judéo-maçonnique cités par ses élèves de collège et des prisonniers devant lesquels il intervient.
Il a essayé successivement plusieurs approches: tenter de démonter argument par argument, créer avec les élèves un complot fictif, placer les collégiens en posture de journalistes créant un média... A l'arrivée, il ne penche pas pour une "approche frontale", car "c'est extrêmement fatiguant de se battre contre des arguments les uns après les autres. Les histoires de carte d'identité, de rétroviseur, c'est sans fin", dit-il, en référence à des arguments complotistes qui ont circulé sur les frères Kouachi.
"Les élèves peuvent donner plus d'infos que le prof, c'est très dangereux", a abondé Lionel Vighier, qui en tant que professeur de lettres ne se sent "pas armé pour démonter une théorie du complot". En revanche, "là où je peux servir, c'est sur la rhétorique".
Il a ainsi décortiqué avec ses élèves des procédés récurrents des complotistes: la dénonciation d'un groupe, des indices avancés comme preuves, des événements successifs présentés comme forcément liés... Ses élèves ont ensuite produit des vidéos reprenant des codes des complotistes, comme une musique anxiogène, des couleurs sombres ou le leitmotiv "Coïncidence ? Non, je ne crois pas".
Pour Sophie Mazet, professeur d'anglais, le déclic est parti de l'incapacité de ses élèves à identifier comme parodiques des articles de l'équivalent américain du Gorafi, The Onion, y compris un discours d'Obama se concluant par "Fuck You". Lors d'un voyage au Rwanda avec une collègue, elle s'est aussi intéressée au rôle de la radio Mille Collines dans le génocide. Elle organise maintenant dans son établissement des cours facultatifs d'autodéfense intellectuelle.
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