Moins de trois mois après le discours du président de la République et l'ambiance d'unité nationale du Congrès à Versailles, le Premier ministre a plaidé pendant une demi-heure, dans un hémicycle aux bancs dégarnis à droite, en faveur du projet de loi constitutionnelle de "protection de la Nation" et de ses deux articles.
Affirmant que les Français demandent "une unité sans faille" face au terrorisme, Manuel Valls a expliqué qu'inscrire l'état d'urgence dans la Constitution était "graver dans le marbre" son "caractère exceptionnel" ou que la prorogation de ce régime d'exception serait limitée à quatre mois, renouvelables.
Il a aussi affirmé qu'un projet d'attentat avait été déjoué "grâce à une perquisition administrative" dans le cadre de l'état d'urgence en vigueur.
Quant à la mesure controversée de déchéance de la nationalité, réécrite, le chef du gouvernement a glissé que serait inscrit "au coeur de la Constitution le principe de l'égalité de tous devant l'exigence républicaine".
Illustration des rebondissements survenus entretemps, l'absence au banc du gouvernement de Christiane Taubira, qui a démissionné du ministère de la Justice pour "désaccord majeur" sur cet article 2 et a été remplacée par Jean-Jacques Urvoas.
Après le rapporteur et président de la commission des Lois Dominique Raimbourg (PS), qui a demandé aux députés "d'être à la fois justes et forts", la coprésidente des députés écologistes Cécile Duflot s'est livrée à un réquisitoire contre un projet de révision "inutile" et "dangereux", spécialement contre la déchéance de nationalité, où "la gauche, en voulant mettre un adversaire dans l'embarras, a jeté aux oubliettes nos valeurs".
200 amendements ont été déposés, près de la moitié sur la déchéance, le reste sur l'état d'urgence, et quelques-uns sur le droit de vote des étrangers, la laïcité... ou les langues régionales.
Sur l'inscription dans la loi fondamentale de l'état d'urgence à l'article 1er, ses défenseurs mettent en avant le souci de mieux "encadrer" ce régime d'exception né en 1955 en pleine guerre d'Algérie et d'éviter "banalisation" ou "recours excessif". Ses détracteurs jugent la mesure au mieux inutile, au pire dangereuse pour les libertés publiques.
Mais c'est sur l'article 2 dédié à la déchéance de nationalité pour les terroristes que le président et le Premier ministre cherchent depuis des semaines à résoudre la "quadrature du cercle": répondre autant à la contestation par une bonne part de la gauche de sa mesure initiale réservée aux seuls binationaux nés Français, qu'aux desiderata de la droite et du centre.
- La droite également désunie -
Ce feuilleton a fini par lasser des parlementaires de la majorité, pour qui l'exécutif, en chute dans les sondages, s'est enlisé dans un débat éloigné des préoccupations majeures des Français.
M. Hollande a besoin d'une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au Parlement réuni en Congrès pour ratifier sa révision, à laquelle il veut adjoindre une réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Evoquant des "évolutions importantes" du texte, M. Urvoas a estimé jeudi qu'"une majorité de parlementaires de gauche (la) soutiendra(it)".
La quête d'un compromis s'est traduite par plusieurs réécritures, d'abord pour retirer la référence à la binationalité, puis celle à l'apatridie dans le futur texte d'application. Pas encore satisfaisant pour certains socialistes - qui continuent à préférer par exemple une "déchéance nationale" - pour la majorité des écologistes et pour la totalité du Front de gauche.
Afin de satisfaire certaines demandes, notamment du président du parti Les Républicains, la déchéance a aussi été élargie aux délits les plus graves.
Sur la déchéance, Nicolas Sarkozy, toujours "favorable" pour les binationaux nés Français, a néanmoins jugé jeudi soir "difficile" d'avoir une position "définitive", compte tenu des multiples changements du texte.
Entre désaccords de principe et arrière-pensées sur la primaire, la droite n'est pas unie et les contre semblent plus nombreux qu'au départ.
L'hypothèse d'un Congrès, espéré au printemps par l'exécutif pour ratifier ce qui serait la 22e révision constitutionnelle depuis 1958, semble donc incertaine.
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