Moins de trois mois après le discours du président de la République et l'ambiance d'unité nationale du Congrès à Versailles, Manuel Valls vient défendre lui-même le projet de loi constitutionnelle de "protection de la Nation" et ses deux articles sur l'état d'urgence et la déchéance de nationalité.
Illustration des rebondissements survenus entretemps, il n'y aura pas au banc du gouvernement Christiane Taubira, qui a démissionné du ministère de la Justice pour "désaccord majeur" sur l'article 2, mais Jean-Jacques Urvoas.
Après les discours du Premier ministre, pendant environ une demi-heure, et du rapporteur et président de la commission des Lois, désormais Dominique Raimbourg (PS), la parole sera aux orateurs des différents groupes pour quelque trois heures de discussion générale, avant le débat sur les amendements qui se prolongera lundi et mardi, jusqu'au vote mercredi.
A ce stade, aucune motion de renvoi ou de rejet préalable n'est en vue à droite.
L'inscription dans la loi fondamentale de l'état d'urgence, à l'article 1er, fera l'objet de premières passes d'armes vendredi. Ses défenseurs mettent en avant le souci de mieux "encadrer" ce régime d'exception né en 1955 en pleine guerre d'Algérie et d'éviter "banalisation" ou "recours excessif". Ses détracteurs jugent la mesure au mieux inutile, au pire dangereuse pour les libertés publiques.
Mais c'est sur l'article 2 dédié à la déchéance de nationalité pour les terroristes que le président et le Premier ministre cherchent depuis des semaines à résoudre la "quadrature du cercle": répondre autant à la contestation par une bonne part de la gauche de sa mesure initiale réservée aux seuls binationaux nés Français, qu'aux desiderata de la droite et du centre.
- 200 amendements déjà déposés -
Ce feuilleton en est venu à lasser des parlementaires de la majorité, pour qui l'exécutif, en chute dans les sondages, s'est enlisé dans un débat éloigné des préoccupations majeures des Français.
M. Hollande a besoin d'une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au Parlement réuni en Congrès pour ratifier sa révision, à laquelle il veut adjoindre une réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Evoquant des "évolutions importantes" du texte, le nouveau ministre de la Justice a estimé jeudi qu'"une majorité de parlementaires de gauche (la) soutiendra". "Nous mettrons tout en ?uvre pour cela" et "nous aboutirons", a de son côté affirmé le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, appelant au "rassemblement" afin de "conforter les valeurs de la République".
La quête d'un compromis s'est traduite par plusieurs réécritures, d'abord pour retirer la référence à la binationalité, puis celle à l'apatridie dans le futur texte d'application. Pas encore satisfaisant pour certains socialistes - qui continuent à préférer par exemple une "déchéance nationale" - pour la majorité des écologistes et pour la totalité du Front de gauche.
Afin de satisfaire certaines demandes notamment du président du parti Les Républicains, Nicolas Sarkozy, la déchéance a aussi été élargie aux délits les plus graves (association de malfaiteurs à caractère terroriste, financement direct du terrorisme, entreprise terroriste individuelle).
Mais, entre désaccords de principe et arrière-pensées sur la primaire, la droite n'est pas unie et les contre semblent plus nombreux qu'au départ.
Du "perchoir", où il va présider les débats au moins vendredi, le président de l'Assemblée nationale Claude Bartolone veillera à éviter les débordements sur un texte constitutionnel source de fractures dans chaque camp et de contestations en dehors du Palais-Bourbon.
200 amendements ont été déposés, près de la moitié sur la déchéance, le reste sur l'état d'urgence, et quelques-uns sur le droit de vote des étrangers, la laïcité... ou les langues régionales.
L'hypothèse d'un Congrès pour ratifier ce qui serait la 22e révision constitutionnelle depuis 1958 semble fort incertaine. Si la navette entre les deux chambres, qui peut durer indéfiniment pour tenter d'aboutir à un texte nécessairement conforme, ne permet pas un Congrès en mars-avril, certains socialistes estiment que, "comme une grève, il faudra savoir la terminer".
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