Septembre 1942. Viktor Ullman, grand compositeur tchèque et dont la famille juive s'est convertie au catholicisme, est déporté au camp de Terezin. Loin de stopper son activité artistique, Viktor Ullman y compose une vingtaine d’œuvres, "comme si la vie pouvait être ce qu'elle était avant", explique Hélios Azoulay, compositeur rouennais qui joue ces œuvres écrites dans les camps. Parmi celles-ci, l'une reste inachevée. C'est l'opéra Jeanne d'Arc, dont il ne reste que le livret et deux pages de composition. Le Tchèque n'a pas eu le temps de terminer son opéra. Fin 1944, il est conduit à Auschwitz. Il n'en reviendra pas.
Une Jeanne d'Arc œcuménique
Plus de 70 ans plus tard, cet opéra se réappropriant le mythe Jeanne d'Arc sort de l'oubli. C'est après des recherches approfondies qu'Hélios Azoulay retrouve le livret et les deux feuillets. Ils le fascinent : "Viktor Ullman évoque une Jeanne d'Arc réconciliatrice, qui montre que l'héroïsme et la sainteté n'ont pas de religion." Symbole de la résistance, qu'elle soit chrétienne, juive ou sans religion, Jeanne d'Arc devient fédératrice. L'érudit Pierre-Emmanuel Dauzat, qui a coécrit un livre avec Hélios Azoulay sur la musique dans les camps, évoque une anecdote significative rapportée par l'historien Emanuel Ringelblum : dans le ghetto de Varsovie, "on avait vu une belle jeune fille de 18 ans tirer à la mitrailleuse sur les Allemands, alors qu'elle-même était invulnérable : elle portait apparemment une sorte d'armure, disait la rumeur populaire, qui avait créé une Jeanne d'Arc juive."
Bientôt un spectacle ?
C'est à cette Jeanne qu'il se plaît à qualifier "d’œcuménique" qu'Hélios Azoulay veut redonner vie en terminant la composition d'Ullman pour produire un disque qu'il jouera ensuite sur scène. "Mon but n'est pas seulement de combler le silence. Je veux remettre cette œuvre dans le jeu de la vie." Pour financer l'enregistrement du disque, Hélios Azoulay s'est tournée vers le financement participatif via la plateforme Kiss Kiss Bank Bank. 15 000 € sont nécessaires. Nom de code du projet : Jeanne d'Arc sauvée des cendres. Après viendra le temps de la scène : "L'idée est d'écrire une œuvre pour récitant seul avec des musiciens. Jeanne d'Arc sera le seul personnage chanté et un homme jouera la vingtaine de rôles imaginés par Ullman."
Cet homme, c'est Redjep Mitrovitsa, ancien pensionnaire de la Comédie-Française, qui a déjà croisé l'héroïne dans la pièce Jeanne d'Arc au bûcher (1992). Le comédien a tout de suite accepté la proposition d'Hélios Azoulay : "Je trouve le livret magnifique, je ne le connaissais pas du tout. Ce mélange sulfureux entre le mythe de Jeanne d'Arc tel qu'on pouvait l'appréhender et la culture juive est exaltant." Exaltant, le projet l'est aussi mais, venant d'Hélios Azoulay, il n'étonne pas Redjep Mitrovitsa : "Il aime se confronter à l'impossible." Mais près de 600 ans après la mort de Jeanne d'Arc et 70 ans après sa réappropriation dans l'horreur des camps, le pari est en passe de se réaliser.
Pratique. Vous pouvez participer au financement de l'oeuvre ici.
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