L'arrivée sous la coupole de ce brillant intellectuel, taxé de "néo-réac" et inlassable pourfendeur du politiquement correct, avait suscité des grincements de dents. Alain Finkielkraut avait été élu en 2014 au premier tour par 16 voix sur 28, mais son nom avait été barré d'une croix, en signe de désaveu, sur huit bulletins.
Se définissant volontiers comme un "héritier des Lumières", l'essayiste, habitué des plateaux de télévision, a fait son entrée parmi ses pairs, au son des roulements de tambour de la Garde républicaine, revêtu du traditionnel habit vert, sous l'oeil de son épouse, de son fils, de nombreuses personnalités et du Premier ministre, Manuel Valls, qui l'a reçu lundi à Matignon.
"C'est aux miens que je pense", a-t-il dit, en préambule de son discours. "À mes parents bien sûr, qui ne sont pas là pour connaître ce bonheur: l?entrée de leur fils à l?Académie française alors que le mérite leur en revient".
Ils "auraient été désolés de me voir m?assimiler à la nation en lui sacrifiant mon identité juive même si cette identité ne se traduisait plus, pour eux ni donc pour moi, par les gestes rituels de la tradition", a poursuivi l'auteur du "Juif imaginaire", rappelant que "c'est de France et avec la complicité de l'Etat français que (son) père a été déporté" à Auschwitz.
Ce polémiste toujours prompt à dénoncer le déclin de l'école républicaine a souligné que ses parents "ne lui ont pas vraiment laissé d?autre choix que d?être studieux et de ramener de bons bulletins".
Mais "le fait d?être français ne représentait rien de spécial à (m)es yeux", a confié Alain Finkielkraut, dont l'émission culte "Répliques" sur France Culture vient de fêter son trentième anniversaire.
- 'Origines vagabondes' -
"J?ai découvert que j?aimais la France le jour où j?ai pris conscience qu?elle aussi était mortelle", un amour "que j?ai essayé d'exprimer dans plusieurs de mes livres et dans des interventions récentes". "Cela me vaut d?être traité de passéiste, de réactionnaire, voire pire", a-t-il lancé.
Comme le veut la tradition, Alain Finkielkraut devait faire l'éloge de son prédécesseur, le dramaturge et romancier d'origine belge, Félicien Marceau. Or, celui-ci a été condamné par contumace à la Libération à 15 ans de prison pour collaboration lorsqu'il était reporter à Radio Bruxelles entre 1940 et 1942.
L'exercice est délicat, a-t-il reconnu. "Un défenseur exalté de l?identité nationale, oublieux de ses origines vagabondes et astreint à faire l?éloge d?un collabo: il n?y a pas de hasard, pensent nos vigilants, et ils se frottent les mains, ils se lèchent les babines."
Le nouvel Immortel a fait de Marceau un portrait sans concessions, nuançant l'ampleur de son engagement, le replaçant dans le contexte du pacifisme de l'entre-deux-guerres, qualifiant sa condamnation d'"exorbitante" et rappelant que la nationalité française lui avait été accordée par le général de Gaulle.
Issu de la gauche, Alain Finkielkraut s'est dit "trahi et même menacé par les justiciers présomptueux qui peuplent la scène intellectuelle". Selon lui, "on met au pinacle le nom de Primo Levi, mais c?est Quentin Tarantino qui mène le jeu, c?est sur le modèle d?+Inglorious Basterds+ que tout un chacun se fait son film".
Après avoir rappelé le parcours du philosophe sur un mode à la fois critique et complice, l'historien Pierre Nora a conclu: "la Compagnie vous a ouvert les bras, vous allez connaître avec elle ce que c?est qu?une identité heureuse". "Alors souffrez, cher Alain Finkielkraut, ? souffrez sans trop souffrir ! ? de vous y savoir le bienvenu".
Avant la cérémonie, ses amis lui avaient remis son épée d'académicien. Sur cette arme symbolique, le philosophe a demandé que soit gravée: une vache normande, un Aleph, première lettre de l'alphabet hébraïque, et cette phrase de Charles Péguy qui résume son engagement: "La République Une et indivisible, notre royaume de France".
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