"Compte tenu du parti pris de diffuser sans commentaires des scènes et des discours d?une extrême violence, j'ai décidé de suivre l'avis de la commission (de classification des ?uvres cinématographiques)", a annoncé mercredi la ministre de la Culture.
Malgré les modifications apportées par les auteurs, la commission s'est prononcée "à une large majorité" en faveur d'une interdiction aux moins de 18 ans, après un premier avis dans le même sens la semaine dernière.
Selon des sources proches du ministère de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve a mis "le poids de son ministère" dans la balance pour que le documentaire "ne soit pas diffusé" ou soit "entouré de précautions qui s'imposent dans le contexte actuel".
"C'est une vraie tartufferie de prétendre vouloir protéger les mineurs alors qu'il s'agit bel et bien de censure puisque, de fait, l'interdiction aux moins de 18 ans empêche toute diffusion télé et rend très difficile l'exploitation du film en salles", a réagi sur le site de Télérama François Margolin, coréalisateur du film avec le journaliste mauritanien Lemine Ould Salem.
"Heureusement qu'il reste quelques exploitants courageux pour défendre Salafistes, et le montrer", a-t-il ajouté.
Le film, sorti ce mercredi dans quelques salles dans le contexte sensible de l'état d'urgence, sera accompagné d'un avertissement.
Les auteurs, qui affirment vouloir montrer les salafo-jihadistes "tels qu'ils sont", ont donné la parole à des responsables d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et à des autorités religieuses salafistes.
Le film est entrecoupé d'images de propagande et de vidéos jihadistes, sans voix off, ni commentaires. Tourné au Mali, en Irak, Algérie, Tunisie et Mauritanie, il montre de façon très crue l'application de la charia au quotidien.
- Accueil houleux -
On y voit ainsi un jeune plombier, amputé de la main droite pour vol, feindre sur son lit d'hôpital de se réjouir d'être pris "intégralement en charge" jusqu'à sa sortie.
A ses côtés, son bourreau, un chef jihadiste, affirme froidement: "On l'a traité conformément à ce que Dieu nous dit."
Également en cause, des images non floutées de l'exécution du policier Ahmed Merabet, victime des tueurs de Charlie Hebdo, une séquence jugée particulièrement choquante par les syndicats de police.
Ces derniers avaient averti "le ministère de l'Intérieur que si la +mise à mort+ de leur collègue n'était pas tout simplement retirée", ils en tireraient +toutes les conséquences+", selon l'Unsa police.
Dans un courrier adressé vendredi à Fleur Pellerin, François Margolin avait indiqué qu'il allait modifier la scène de l'exécution du policier.
Au Festival international des programmes audiovisuel (Fipa) de Biarritz la semaine dernière, "Salafistes" avait déjà reçu un accueil houleux.
"On ne peut pas faire aujourd'hui un film sur le jihadisme sans montrer ces vidéos", s'est justifié François Margolin.
Dans une tribune dans Le Monde, le réalisateur de "Shoah" Claude Lanzmann a, lui, pris la défense du documentaire, estimant que ce "chef-d??uvre" éclaire "comme jamais aucun +spécialiste+ de l'islam ne l'a fait, la vie quotidienne sous la +charia+".
Plus sévère, le quotidien a dénoncé un "déficit de réflexion préoccupant sur la nature et le pouvoir des images".
L'interdiction aux mineurs est en général appliquée aux films "comportant des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence", mais il vise rarement des documentaires.
Ces dernières années, les documentaires frappés de cette interdiction relevaient de la première catégorie : "Il n?y a pas de rapport sexuel" consacré aux coulisses du X (2012), et "Polissons et galipettes" (2002), composition de films érotiques du début du XXe siècle.
Au cinéma, cette interdiction doit être mentionnée clairement sur les bandes-annonces, les affiches et dans les salles. A la télévision, seules certaines chaînes accessibles par abonnement sont autorisées à diffuser les films interdits aux mineurs entre minuit et 05H00.
France Télévisions a décidé dès jeudi de ne pas diffuser ce film coproduit par France 3, dénonçant une absence "de décryptage et de mise en contexte."
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