Une affaire au goût de "naufrage judiciaire", s'accordent à dire toutes les parties.
Personne n'ira en prison, il n'y aura jamais de responsable pénal pour la mort d'enfants, mais les familles espèrent encore une ultime "reconnaissance" de la justice. Pour le "préjudice irrémédiable" subi, 21 parties civiles réclament un montant total d'environ dix millions d'euros, notamment au nom du "préjudice d'anxiété".
Du côté de la défense, on dénonce un acharnement contre les deux seules personnes auxquelles la justice demande encore des comptes -- un vieil homme de 93 ans et une pédiatre retraitée de 66 ans -- alors que la plupart des protagonistes du drame sont morts.
Après deux procès et une relaxe générale, seuls deux scientifiques ont en effet dû répondre à la justice civile: le professeur Fernand Dray, qui dirigeait le laboratoire Uria, rattaché à l'Institut Pasteur et chargé d'élaborer la poudre d'hypophyse (glande contenant l'hormone de croissance), et l'ancienne pédiatre Élisabeth Mugnier, qui assurait la collecte des hypophyses pour le compte de l'association France Hypophyse.
Entre 1983 et 1985, 1.698 enfants en insuffisance hormonale ont été traités par injection à partir de prélèvements contaminés et quelque 120 sont morts au terme de longues souffrances. D'autres risquent encore de tomber malades, le temps d'incubation pouvant dépasser les 30 ans. Ces patients ont été contaminés par des lots d'hormones prélevées sur des cadavres dont certains étaient infectés par la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ).
- 'Fautes graves?' -
La Cour de cassation, vers laquelle quelques familles se sont tournées, a permis un ultime procès au civil en considérant que "l'extraction et la purification" de l'hormone "entraient dans la préparation" d'un médicament et n'auraient pas dû être pratiquées par Uria.
Pour Bernard Fau, l'avocat de la majorité des familles, "la première des fautes est d'avoir fabriqué un médicament dans un laboratoire de recherche qui n'avait pas la qualité d'un laboratoire pharmaceutique".
De cette maldonne initiale découlent plusieurs "fautes graves", énumérées par des experts: une collecte à la "traçabilité douteuse", le "mélange de lots", le "prélèvement dans des hôpitaux à risques", le "non respect des règles industrielles" concernant la purification de l'hormone et la stérilisation du matériel.
Un argumentaire rejeté d'un bloc par la défense, pour qui le Dr Mugnier n'était que "collecteur" et le Pr Dray un "employé" de l'Institut Pasteur.
"La mission de collecte n'est en aucun cas une mission de production d'un médicament", avait plaidé Me Cédric Labrousse, rappelant que les règles de prélèvement avaient été fixées par France Hypophyse et la liste des hôpitaux ciblés dressée par le ministère de la Santé.
Mme Mugnier comme le Pr Dray étaient convaincus de l'innocuité du traitement, avaient martelé les avocats, s'indignant qu'on exige d'une pédiatre et d'un chercheur des connaissances sur la MCJ dont personne ne disposait au début des années 80.
"Rien" n'aurait permis alors d'empêcher une contamination au prion, l'agent infectieux de la MCJ, selon des experts cités par la défense du Pr Dray.
Un de ses conseils, Me Henri Leclerc, avait souligné qu'en quatorze ans d'exploitation, il n'était "venu à l'idée de personne" de suggérer de dessaisir Uria au profit d'un laboratoire pharmaceutique. "Il est impossible de dire que le Pr Dray a causé la mort de ces enfants", avait-il ajouté, car cela ferait de lui un "coupable" alors qu'il a été relaxé de toute poursuite pénale.
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