Ridha Yahyaoui, 28 ans, est mort électrocuté samedi dernier après être monté sur un poteau, alors qu'il protestait avec d'autres contre son retrait d'une liste d'embauches dans la fonction publique.
Après deux jours de protestations dans cette région défavorisée du centre du pays, où le taux de chômage atteint des sommets, la contestation s'est propagée à d'autres gouvernorats, sur le même thème de l'exclusion sociale.
A Kasserine, un haut responsable local a été limogé à la suite du décès, et une enquête a été ouverture sur les motifs de la modification de la liste d'embauches.
Mais pour le père, la cause est entendue. "S'il n'y avait pas de corruption, le nom de mon fils n'aurait jamais été rayé et il serait encore en vie! Tant qu'on continuera à recruter par +piston+, d'autres jeunes mourront comme lui", dit à l'AFP Othman, 65 ans, la voix étranglée par la colère.
Ce samedi "noir", il affirme que son fils, diplômé en électro-mécanique, a voulu rencontrer le gouverneur pour comprendre pourquoi sa promesse d'embauche s'était soudainement évaporée.
Mais sa demande a été ignorée, aboutissant à sa mort, ajoute Othman Yahyaoui, qui réside à Cité el-Karma, un des multiples quartiers pauvres de Kasserine, ville de plus de 80.000 habitants proche de la frontière algérienne.
"Si je n'obtiens pas la reconnaissance des droits de mon fils, je suis prêt à sacrifier d'autres membres de ma famille", prévient ce père de six autres garçons et deux filles.
Il réclame une indemnisation financière pour la mort de Ridha et qu'il soit reconnu par les autorités comme "martyr", au même titre que les 338 victimes de la répression sanglante du soulèvement de fin 2010-11 contre le régime agonisant de Zine el Abidine Ben Ali, ou celles du terrorisme.
Depuis samedi, Othman Yahyaoui participe, au milieu de centaines d'autres, aux protestations quotidiennes devant le siège du gouvernorat, sous un important dispositif de sécurité.
- "Jeunesse pauvre" -
Mehrez, 36 ans, un frère du défunt dont il brandit le portrait, impute lui aussi le décès de Ridha au "désintérêt de l'Etat pour cette région marginalisée, depuis des décennies".
"La situation sociale est très difficile", soupire le trentenaire, lui-même au chômage.
Selon lui, les autorités poussent "la jeunesse pauvre à s'orienter vers le trafic de la drogue ou le terrorisme", une allusion aux milliers de jeunes tunisiens ayant rejoint les rangs d'organisations jihadistes comme le groupe Etat islamique (EI), en Syrie, en Irak et en Libye voisine.
Ce sentiment est largement partagé parmi la jeunesse de Kasserine, cité où la pauvreté saute aux yeux, entre rues mal entretenues, quartiers surpeuplés et logements décatis.
"Nous sommes une bonne cible pour les groupes terroristes. On est dans un tel état de pessimisme, de dégoût et de désespoir qu'on pourrait même suivre le diable pour sortir de cette misère", lance Ibrahim, 24 ans, qui porte des chaussures hors d'usage.
- "Les politiciens n'ont rien compris" -
"Nous subissons trop d'injustice, nous sommes incapables d'en supporter plus. Ras le bol!", s'exclame Faouzia Rtibi, titulaire d'une licence de philosophie. Au chômage depuis trois ans, elle se dit prête à travailler pour 200 dinars par mois (90 euros), afin de pouvoir soigner sa mère malade.
Sur le sentiment de déjà-vu, cinq ans après l'immolation du vendeur ambulant Mohammed Bouazizi à Sidi Bouzid, point de départ de la révolution, Slim, 27 ans, y voit la preuve que "nos politiciens n'ont rien compris".
"Je pense qu'il est temps de leur faire comprendre et de les dégager!", assène-t-il, alors qu'il bloque, avec des dizaines d'autres, le visage à moitié caché par un foulard, la route principale du centre-ville en brûlant des pneus.
"Travail! Liberté! Dignité nationale!", crie le groupe, en répétant le slogan phare de la révolution ayant chassé Zine El Abidine Ben Ali du pouvoir après 23 ans de règne sans partage.
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