"Je ne me rappelle pas", "je n'en ai pas souvenance": à la barre, le refrain des aficionados agace le président, Jean-Pierre Bandiera.
"On va aider votre mémoire défaillante", dit-il à plusieurs reprises aux prévenus avant de faire diffuser des extraits de vidéos accablants sur les violences perpétrées le 8 octobre 2011 contre des anti-corridas entravés.
Des dizaines d'activistes s'étaient enchaînés au centre des arènes en déclenchant des fumigènes rouge-sang, avant de scander, le poing levé, "abolition !" ou "la torture n'est pas notre culture !"
Les 18 sont prévenus notamment de "violence en réunion", "violence aggravée par deux circonstances suivie d'incapacité supérieure à huit jours". Deux auteurs de violences et deux victimes sont morts depuis les faits.
Christophe Pioch, psychologue, qui faisait partie des militants anti-corridas, dit à la barre avoir été "agressé par des personnes en furie" et parle d'"un phénomène de foule". "Il y avait vraiment un risque de mort pour certaines des personnes agressées", dit-il. "Les coups de pied étaient portés au niveau du visage, de la nuque".
Lorsque la défense des aficionados l'interroge sur les coups qu'il a donnés en réplique, M. Pioch répond : "Je protégeais ma nuque. Peut-être auriez vous préféré que je vienne en fauteuil roulant ?"
Les victimes, dont 47 sont citées sur 63 plaintes déposées, sont en majorité des femmes.
"Ma soeur et ma mère sont anti-corrida et j'ai eu peur pour ces manifestantes, j'ai voulu les faire sortir", bredouille un jeune prévenu.
"Vous reconnaissez avoir commis des violences ou vous dites avoir porté secours à ces personnes", s'énerve Me Jean-Robert Phung pour les parties civiles.
-"C'est après qu'on a réfléchi"-
Les pro-corrida invoquent des "insultes insupportables" des "anti", qui auraient provoqué chez eux un "pétage de plomb".
Le président les coupe fermement : "vous n'aviez rien à faire sur la piste, l'évacuation est une mission de service public réservée aux policiers et aux gendarmes !"
Après une contrition timide exprimée après l'intervention d'un des avocats de la défense, M. Bandiera soupire : "on vous les a un peu soufflés quand même ces regrets".
Serge Reder, maire de Rodilhan, sur le banc des prévenus, "conteste tout acte de violence. C'était un acte de sauvegarde, j'ai accompagné cette dame vers la sortie", explique-t-il. "Selon quelle modalité ?", interroge le président qui l'accuse de n'avoir eu "aucune empathie pour la jeune manifestante qui s'est retrouvée les seins à l'air au milieu de la piste" après que ses vêtements eurent été arrachés.
"Laissons-nous vivre notre culture, nous reconnaissons le droit de manifester mais il y a des limites à ne pas dépasser", se contente de répondre M. Reder, qui dénonce une "machination".
Un professionnel de santé venu d'Arles, également prévenu, renchérit : "le piège était magnifiquement préparé et nous sommes tous tombés dans le panneau".
Un géant ayant largement abusé de sa force physique se livre à un aveu qui semble s'appliquer à tous les prévenus : "c'est après qu'on a réfléchi".
La consommation d'alcool avant et pendant les corridas est à peine évoquée au cours des débats mais soulevée par le ministère public.
Dans la salle d'assises, utilisée exceptionnellement pour ce procès correctionnel, un profil assez précis des agresseurs identifiés, se dessine : des hommes, le plus souvent nés à Arles (Bouches-du-Rhône) ou Nîmes, deux bastions de la corrida, de milieu socio-professionnel plutôt favorisé et n'ayant aucun antécédent judiciaire.
Le maire de Rodilhan avait, à son tour porté plainte pour manifestation interdite contre le président du Comité radicalement anti-corrida (Crac Europe), Jean-Pierre Garrigues, également prévenu mais absent au procès pour raison de santé.
Entre les deux camps, qui parlent mutuellement de "haine", l'incompréhension est restée totale au cours de l'audience.
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