"Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne". Christiane Taubira ne semble pas partager cet adage - passé dans le langage courant de la politique française -, de Jean-Pierre Chevènement qui a honoré cette promesse trois fois.
La garde des Sceaux, elle, reste en poste, persiste et signe: cet élargissement de la déchéance de nationalité aux binationaux nés français et condamnés pour terrorisme, que François Hollande souhaite inscrire dans la Constitution, n'est "pas souhaitable" car son "efficacité" est "absolument dérisoire", a-t-elle insisté.
Interrogé sur cette hostilité réitérée, le chef du gouvernement Manuel Valls a rappelé vendredi soir à Evry qu'"il n'y a qu'une seule ligne possible c'est celle qui avait été définie par le Président de la République". "Chacun doit s'y tenir", a-t-il rappelé, assurant que le gouvernement est "soudé" dans "la lutte contre le terrorisme et la protection des Français".
Plus qu'un désaccord gouvernemental, la situation a une allure inédite: une ministre régalienne ouvertement opposée à un texte constitutionnel dont elle est censée convaincre du bien-fondé auprès de parlementaires de sa majorité, au demeurant réticents.
Respectée des "frondeurs" du PS et de la gauche de la gauche, elle avait déjà subi un cinglant désaveu le 23 décembre avec la confirmation de cette réforme, alors qu'elle en avait annoncé le retrait la veille sur une radio algérienne. Ce couac avait suscité une première salve de la part de la droite, favorable, elle, au texte.
Surtout, Mme Taubira envoie des signaux contradictoires alors qu'elle vient de cosigner une tribune dans Le Monde avec le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve pour défendre le projet de loi de lutte contre la criminalité organisée, également critiqué par une partie de la majorité.
- "Rétrécissement de ce gouvernement" -
L'opposition s'est une nouvelle fois engouffrée dans la brèche. "Cette crise gouvernementale, elle doit se trancher soit par le fait que Mme Taubira retire ses propos, ce que je n'imagine pas qu'elle pourrait faire, soit qu'elle quitte le gouvernement", a réagi le président du MoDem, François Bayrou.
Si elle est "en désaccord avec le président de la République, j'imagine qu'elle devrait avoir à c?ur de respecter ses convictions et de quitter le gouvernement", a renchéri le président de l'UDI Jean-Christophe Lagarde tandis que, pour Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France), elle doit "démissionner immédiatement".
Voir la ministre qualifier la politique menée par Hollande de "dérisoire en terme d'efficacité, ça en dit long sur le fait que même jusqu'au sommet de l'Etat, personne ne croit à ce que le président de la République et le gouvernement mettent en oeuvre", a de son côté ironisé Thierry Solère pour Les Républicains. "François Hollande doit mettre un terme à ce désordre", a renchéri Luc Chatel.
Le patron du PS Jean-Christophe Cambadélis s'est lui employé à minimiser l'affaire: "A partir du moment où le Premier ministre a dit qu'il comprenait les interrogations, les inquiétudes et les positions, il n'est pas anormal que les ministres puissent réfléchir à haute voix", a-t-il déclaré à l'AFP.
Icône de la gauche depuis le "Mariage pour tous", cible privilégiée de la droite et de l'extrême droite, Christiane Taubira s'est à plusieurs reprises retrouvée en délicatesse avec l'Elysée et Matignon depuis son arrivée Place Vendôme en 2012.
En juin 2015, elle avait lancé une sorte d'ultimatum feutré en déclarant qu'elle "n'assumerait pas" que la réforme de la justice des mineurs ne soit pas réalisée. Réforme dont la présentation se fait toujours attendre.
Mais son départ constituerait "un signe de plus du rétrécissement de ce gouvernement sur une ligne" qui empêche le rassemblement de la gauche, met en garde un "frondeur" auprès de l'AFP.
Lors des précédents remaniements du quinquennat, son nom a circulé à plusieurs reprises pour le ministère de la Culture. Les regards se tournent également vers le Conseil constitutionnel, dont trois membres doivent être renouvelés avant le printemps.
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