"Mon intention n'était pas que ça fasse quatre fois le tour de la planète! Je voulais seulement exprimer, à la première personne, mon sentiment aux 400 followers que j'avais à l'époque. Quelque chose de très personnel s'est soudainement retrouvé confronté à l'immensité", se souvient Joachim Roncin. Directeur artistique et journaliste musique au magazine gratuit Stylist, il cherche encore à comprendre le succès de sa formule, postée sur Twitter immédiatement après l'attentat jihadiste du 7 janvier 2015.
En quelques heures, son "Je suis Charlie" écrit en blanc sur fond noir avec la typographie de l'hebdomadaire satirique inonde les réseaux sociaux. Puis barre les unes des journaux, devient le cri de ralliement des rassemblements populaires du monde entier...
"La seule explication que je trouve, c'est la sincérité du message. Il n'était pas fabriqué, ce n'est pas celui d'une personnalité mais d'un citoyen lambda. C'est un message de solidarité, et aussi d'identité", dit Joachim Roncin.
Il y avait eu "Nous sommes tous Américains" après le 11 septembre 2001, "Todos ibamos en ese tren" ("Nous étions tous dans ce train"), après les attentats de Madrid en 2004, "We are not afraid" ("Nous n'avons pas peur") après ceux de Londres en 2005. Mais l'écho de "Je suis Charlie" est inédit.
Pour le sociologue Gérôme Truc, "cette formule a capté un phénomène social déjà à l'oeuvre lors des attentats précédents mais dont on ne se rendait pas compte parce qu'on n'avait pas encore les réseaux sociaux: les gens vivent ces épreuves sur le mode singulier, à la première personne. Chacun est fortement impliqué mais chacun le vit à sa manière".
- 'Je' et pas 'nous' -
"On peut l'interpréter comme une volonté de ne pas assumer une parole à la première personne du pluriel. Quand Jean-Marie Colombani écrit dans Le Monde +Nous sommes tous américains+ après le 11 septembre, il y a une dimension normative disant +nous devons tous être Américains+", souligne l'auteur de "Sidérations, une sociologie des attentats". "Certaines personnes vont préférer dire +moi, je me sens Charlie mais je n'oblige pas les autres à l'être ou je ne pense pas que tout le monde doit l'être+."
Le slogan n'en déclenche pas moins des polémiques passionnées en France. Comme "chacun le dit en son nom propre, on interpelle aussi les autres: +Je suis Charlie. Et toi, tu es quoi?+", explique Gérôme Truc.
"Je suis Charlie Coulibaly", répond ainsi le polémiste Dieudonné. "Je suis Charles Martel", lance Jean-Marie Le Pen. "Je ne suis pas Charlie", s'indignent ceux qui revendiquent le droit de ne pas souscrire à l'unanimisme ambiant.
Mais si "Charlie" pose problème à certains qui refusent de cautionner toutes les caricatures de l'hebdo, la formule "Je suis" reste le socle d'innombrables déclarations de soutien, chacun exprimant ses raisons d'être solidaire.
"Je suis Ahmed", disent certains en hommage au policier tué par les frères Kouachi, "Je suis juif", clament d'autres après la prise d'otages de l'Hyper Cacher, "Je suis humain", affirment d'autres...
Des enseignants de l'université d'Harvard ont créé des "Archives Charlie", projet collaboratif pour recenser les diverses manifestations -de soutien ou d'opposition- de ce mouvement, qui intéresse de plus en plus les chercheurs.
Le slogan ressurgit désormais à chaque attentat, parfois pour dénoncer une indignation à deux vitesses: "Je suis Garissa" a fleuri après la sanglante attaque contre cette université kényane, suivi de "Je suis Tunis", "Je suis Nigérian", puis "Je suis Paris" le 13 novembre.
Tombée dans le domaine public, la formule prend aussi des déclinaisons inattendues. "Quand je vois dans ma boîte aux lettres des cartes publicitaires de plombiers marquées +Je suis utile+, je me dis que ça devient tout et n'importe quoi", confie Joachim Roncin. "Mais je n'en suis pas le garant, cette formule appartient à tout le monde et à personne."
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