Dévoilé en conseil de ministre le 23 décembre, le projet de réforme constitutionnelle prévoit d'étendre la déchéance de nationalité aux binationaux nés français condamnés "pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation". Seuls peuvent aujourd'hui être déchus les binationaux devenus français.
L'exécutif a exclu jusqu'à présent d'étendre la mesure à tous les Français: les "principes du droit international (...) interdisent de créer des situations d'apatridie", rappelait le Premier ministre Manuel Valls sur sa page Facebook le 28 décembre. Mais c'est "un élément qui est dans le débat", a convenu lundi le secrétaire d'Etat au Parlement Jean-Marie Le Guen.
Une telle extension permettrait de faire taire les critiques des nombreux socialistes qui s'offusquent de l'inscription dans la Constitution d'une "rupture d'égalité" entre les binationaux - quelque 5% des Français - et le reste de la population.
Silencieux depuis la présentation du projet de réforme, le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis, qui avait estimé le 4 décembre que la déchéance de nationalité pour les binationaux nés français n'était "pas une idée de gauche", s'est montré ouvert à cette solution.
"Il faut travailler dans l'esprit du président de la République, ce qui ne veut pas dire obligatoirement dans la lettre", a-t-il affirmé. Et M. Cambadélis de rappeler l'existence de "plusieurs pistes": première d'entre elles, "l'indignité nationale" --déjà évoquée le 22 décembre par plusieurs responsables, elle n'a pas été retenue par le chef de l'Etat.
"On peut" également, selon M. Cambadélis, "continuer sur la déchéance de nationalité (...) mais, à ce moment-là, il faut qu'elle soit ouverte à l'ensemble des Français".
Même suggestion du président du groupe socialiste à l'Assemblée Bruno Le Roux, partisan d'un compromis concernant tous les "terroristes" français, "qu'ils soient binationaux ou pas".
La proposition a déjà été avancée la semaine dernière par le sénateur UDE Jean-Vincent Placé, et par la députée Les Républicains Nathalie Kosciusko-Morizet. Le président de la région Nord-Pas-de-Calais/Picardie Xavier Bertrand s'y est rallié lundi.
- La balle dans le camps du Parlement -
Problème: une telle mesure est contraire à la déclaration universelle des droits de l'Homme, qui stipule à son article 15 que "tout individu a droit à une nationalité".
Une convention onusienne de 1961 "sur la réduction des cas d'apatridie" affirme en outre que "les Etats contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride".
"Nous sommes devant un débat juridique, un débat de relations internationales un peu compliqué, qui fait qu'il y a une législation qui interdit théoriquement de créer des apatrides", a relevé M. Le Guen.
Une source gouvernementale haut placée rappelle que la France a signé la convention de 1961, sans la ratifier. "Mais il y a un usage international auquel la France se conforme : le refus de l'apatridie", ajoute-t-elle immédiatement.
La France, qui s'enorgueillit d'être la "patrie des droits de l'Homme", pourrait-elle s'engager sur cette voie? "Ce débat, c'est pour montrer qu'on vise les criminels terroristes, pas les binationaux", décrypte la même source.
"Cela semble impossible de faire l?apatridie mais, au final, c'est peut-être cela que le Parlement retiendra. C?est à lui de prendre ses responsabilités", poursuit-elle.
L'intention du gouvernement "n'a pas été de viser les binationaux, c'était bien de viser les terroristes", confirme M. Le Guen, qui attend lui aussi de voir "comment le débat, à la fois juridique, mais aussi politique, va être mené à l'Assemblée nationale".
Ce proche du Premier ministre ne désespère pas de voir la mesure adoptée: "Grâce à la réforme constitutionnelle, nous allons en quelque sorte limiter le champ des déchéances de nationalité et donc éviter toute dérive", a-t-il expliqué.
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