Au bout d'une route perdue au milieu des vignes du Beaujolais, un panneau en japonais, aussi incongru qu'inattendu, indique l'école Tsuji. C'est ici que la crème des futurs chefs japonais vient se former à la cuisine française.
En ce matin de décembre, la campagne est encore blanchie mais ils sont déjà en cuisine à fumer des entrecôtes de Charolles aux sarments de vigne ou à préparer des fondues de tomates grappes destinées à garnir des tartes aux rougets.
Ils ont cinq mois pour apprendre à saisir, confire, élaborer une sauce. Peu de temps aussi pour former leurs palais: "le sel, ils ne connaissent pas. Chez eux, c'est la sauce soja, donc il faut les former à tout ça, aux goûts, à l'acidité", détaille Aimé Nallet, professeur en chef en cuisine, entre deux ordres ponctués de "oui chef !".
Une formation accélérée de haute volée qui coûte tout de même entre 20.000 et 25.000 euros (variable en fonction du cours du yen), repas et pension compris.
A ce prix, les étudiants manipulent les plus beaux produits de la région lyonnaise: poulet de Bresse, boeuf Charolais, poissons d'eau douce de la Dombes, fruits de l'Arbresle ou de la vallée du Rhône.
Ils dorment dans la dépendance d'une maison de maître aux allures de pension d'été pour famille fortunée.
C'est un journaliste gastronomique japonais, Shizuo Tsuji, qui eut l'idée de cette école il y a une trentaine d'années. En 1960, cet amoureux de la cuisine française, grand ami de Paul Bocuse, ouvre à Osaka son école hôtelière, aujourd'hui une des plus renommées du Japon. En 1979, il décide de s'implanter à l'étranger, en France, où il ouvre deux centres, le premier au château de l'Eclair à Liergues dans le Beaujolais, le second dix ans plus tard au château Escoffier à Reyrieux dans l'Ain.
- Crumble à la poudre de soja -
Au fil des ans, Tsuji s'est imposé comme une des grandes écoles de gastronomie française. Ici d'ailleurs, ce ne sont pas les élèves qui sont sur liste d'attente pour un stage, mais les chefs !
Les élèves sont "très méticuleux" et se démarquent sur la présentation des plats grâce à leur culture japonaise, note le directeur de l'école Pierre Béal.
"Ils ont l'esprit des samouraïs, l'envie d'apprendre en suivant la voie du maître", souligne Patrick Henriroux, chef de La Pyramide à Vienne (Isère), établissement deux étoiles au Michelin.
"A l'école Ferrandi, ils ont plusieurs formations en cuisine mais beaucoup de théorie aussi. Chez Bocuse, ils forment plus des manageurs. Ici, c'est que de la pratique; ils sont constamment en cuisine", embraye leur professeur Aimé Nallet.
Résultat: nombreux connaissent des carrières flamboyantes, même en France où la cuisine française revisitée par des Japonais est de plus en plus prisée.
Ainsi on ne compte plus les anciens de Tsuji qui ont décroché leur (ou leurs) étoile au Michelin au Japon ou en France: Yusuke Takada ou Hajime Yoneda à Osaka, Takeo Yamazaki au restaurant Robuchon Yoshi de l'hôtel Métropole de Monaco ou Raphaël-Fumio Kudaka, à La Table Breizh Café de Cancale.
Certains intègrent les brigades les plus renommées: la seconde de Thierry Marx (au Sur Mesure) est un pur produit Tsuji. D'autres s'aventurent à ouvrir leurs propres établissements en France comme le So à Dijon ou L'Ourson qui boit à Lyon.
Être en France c'est l'assurance de pouvoir travailler les meilleurs produits du terroir français à prix raisonnables (quand au Japon ils frôlent des sommets) avec comme petit défi de concurrencer les papes de la cuisine française sur leurs propres terres.
Avec sa tarte aux haricots rouges, crème amande au sésame noir et crumble à la poudre de soja ou son cake vanille-Miso, Kyoko Fujiyama, chef pâtissière de L'Ourson qui boit, émoustille les papilles des Lyonnais les plus exigeants. Et ça marche tellement bien que le restaurant vient d'ouvrir une petite pâtisserie attenante.
Un succès qui a peut-être donné des idées au chef le plus étoilé au monde, Joël Robuchon, qui va bientôt ouvrir dans la Vienne une école internationale de cuisine financée par des capitaux chinois.
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