Le pur-sang a beau se cabrer, s'agiter à droite, à gauche, et se rouler au sol, il en faut plus pour impressionner Raja Kheir. Avec élégance, elle s'éloigne du cheval qui refuse d'être dressé. A 32 ans, la frêle cavalière est la première dresseuse de chevaux sur le plateau du Golan.
Rien d'exceptionnel dans cette région onduleuse aux confins de la Syrie et du Liban, occupée par Israël depuis 1967 et annexée en 1981, sinon qu'elle est l'une des rares, peut-être même la seule femme arabe dans le Golan, en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés, à exercer l'activité, ici réputée virile, d'inculquer la docilité aux bêtes rétives.
Depuis l'aube, Qamar (la lune, en arabe), une jument de trois ans, l'a fait tomber plusieurs fois, mais Raja, les traits déterminés encadrés par des cheveux châtains coupés courts, s'obstine. A force de mouvements précis, audacieux et parfois dangereux, elle obtient ce qu'elle voulait: la selle est en place, fermement nouée sur le dos du cheval.
"Seller un pur-sang, ce n'est rien", dit-elle, "le plus important, c'est de le monter". Alors Raja, vêtue d'une chemise blanche et de jeans, revient à la charge. Tout doucement, elle place ses pieds dans les étriers, enfourche le cheval avant de presser ses cuisses autour de l'animal. Qamar ne veut rien entendre et chaque tentative finit par une roulade au sol.
Raja ne se décourage pas. Née dans une famille druze du village de Beit Jann en Haute-Galilée, elle monte depuis l'âge de six ans. Toute petite, "tout le monde m'appelait le garçon manqué parce que je n'avais peur de rien", raconte-t-elle à l'AFP. A l'époque, elle faisait de l'équitation "sur les terres du grand-père à Beit Jann". Elle a vraiment commencé à s'entraîner et à faire de l'équitation à huit ans.
- Les étalons aiment la liberté -
Depuis, Raja a fait du chemin, multiplié les diplômes et s'est installée dans le Golan. Elle peut monter des chevaux, les dresser, les entraîner et interpréter ce qu'elle appelle leur "langage", mais aussi pratiquer l'équithérapie.
Avec Qamar, qu'elle a accueillie il y a quelques jours, elle en est aux premiers pas. Il a fallu d'abord lui faire accepter sa présence et la faire entrer dans son box au sein de l'école d'équitation et de dressage que Raja a cofondée, près de Majdal Shams, entre des monts vallonnés et un étang naturel.
Les étalons aiment "la liberté et ne rien avoir sur leur dos". "Qamar a passé trois années à l'état sauvage. Quand je monte pour la première fois un cheval comme elle, il a peur de moi et moi de lui, et il ne sait pas quelle réaction je vais avoir ni moi la sienne. Quand je sens que je pourrais me faire mal, je me laisse tomber", explique Raja.
"Dresser un cheval, ce n'est pas seulement lui apprendre à se laisser monter, c'est aussi l'habituer au bruit des voitures par exemple, à toutes les choses qui nous paraissent normales à nous alors que le cheval, lui, est surpris et sursaute à chaque fois", poursuit-elle. Pour cette période d'adaptation, il faut compter deux semaines, qui s'ajoutent aux deux ou trois semaines précédentes d'acclimatation à la selle.
La première qualité d'un dresseur, c'est "le courage", dit Raja. "Si le cheval sent ta peur, il te rejette. Si au contraire il sent que tu l'aimes, il te protègera".
Une fois cette confiance gagnée, le tour est joué. "Le cheval est un animal très intelligent: si on lui apprend à trotter, il va trotter, si on lui apprend à galoper, il va galoper, il enregistre tout ce qu'on lui enseigne", assure-t-elle.
- Debout à six heures -
Pour ses 15 chevaux, Raja se lève tous les jours aux aurores. A six heures, elle les nourrit. Après sept heures, dit-elle, c'est déjà trop tard. Parce que bousculer les horaires de repas d'un cheval en dressage peut avoir des conséquences graves pour la santé de l'animal, voire mortelles.
Son école n'est pas la seule du Golan, où plusieurs écoles de dressage sont installées dans des colonies israéliens environnantes.
Raja se refuse à accuser qui que ce soit, mais elle avoue avoir eu des difficultés à faire son trou, elle, la femme arabe, dans ce milieu d'hommes et dans un territoire occupé.
"C'était une vraie guerre contre nous: nos chevaux et nos poulains ont été empoisonnés, ils nous ont fait la guerre pour acheter nos chevaux, mais nous avons obtenu toutes les autorisations légales, notre école continue à exister", dit-elle.
Des propriétaires lui amènent aujourd'hui leurs chevaux récalcitrants. Certains sont destinés aux courses. D'autres aux concours. D'autres encore, au plaisir exclusif de leurs maîtres, dans un milieu où une telle possession est aussi affaire de statut social.
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