Le Conseil d'Etat a renvoyé vendredi au Conseil constitutionnel la délicate question des assignations à résidence, alors que le débat sur l'état d'urgence et les libertés publiques ne fait que commencer en France.
La plus haute juridiction administrative, réunie en urgence mais qui a donné beaucoup de solennité à son audience, a certes validé sept assignations à résidence, s'achevant samedi, contre des militants écologistes qui l'avaient saisie.
Mais elle n'en a pas moins demandé au juge constitutionnel de se prononcer sur ce régime des assignations à résidence, basé sur l'article 6 d'une loi de 1955, renforcée le 20 novembre à la suite des sanglants attentats de Paris.
C'est d'ailleurs justement pour renforcer la solidité juridique du régime de l'état d'urgence que le gouvernement souhaite l'inscrire rapidement dans la Constitution.
Patrice Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l'Homme (LDH), a jugé "heureux" que le Conseil d'Etat pose la question de la constitutionnalité des assignations à résidence.
Il dénonce l'application de ces mesures contraignantes contre "des militants, potentiellement des activistes", mais qui ne "sont pas des terroristes", et qui "n'ont en aucune façon présenté un quelconque danger".
Le Conseil d'Etat a lui relevé que les sept militants concernés "avaient déjà participé à des actions revendicatives violentes et qu'ils avaient préparé des actions de contestation" et des "actions violentes" en marge de la conférence de Paris sur le climat (COP21). Cela justifie selon lui l'assignation à résidence, dans un contexte de mobilisation exceptionnelle des forces de l'ordre face à la menace terroriste depuis les attentats du 13 novembre.
Les sept personnes restent donc assignées encore une journée à résidence dans leur commune (cinq à Rennes, deux juste au sud de Paris), avec obligation de demeurer à domicile chaque nuit entre 20H00 et 06H00 et de se présenter trois fois par jour au commissariat de police.
- "Dialectique éternelle" -
Le Conseil d'Etat a toutefois donné partiellement raison à six d'entre elles, dont les démarches "en référé", c'est-à-dire en urgence, devant les tribunaux administratifs avaient été rejetées sans même une audience publique, au motif qu'elles n'étaient justement pas assez "urgentes".
La plus haute juridiction administrative, suivant le rapporteur public qui avait exprimé à l'audience son "profond désaccord" avec ces rejets brutaux, a au contraire estimé que le juge devait intervenir, et à "très bref délai", c'est-à-dire sous 48 heures, s'il était saisi. Que ce soit pour confirmer ou lever les mesures.
A l'audience, l'avocat Denis Garreau avait interpellé le Conseil d'Etat sur le "risque de dérive" de l'état d'urgence. "La liberté d'aller et venir est la liberté des libertés", avait-il plaidé, réclamant que les assignations à résidence soient réservées à la "menace terroriste", sous peine de les voir s?appliquer à l'avenir à bien d'autres groupes, par exemple "des responsables syndicaux" ou des "étudiants un peu agités".
Me Spinosi avait appelé à poser "une première pierre" dans "un combat de droit" pour "limiter les dérives de l'Etat policier".
Le rapporteur public, conseiller du gouvernement dont les avis sont généralement suivis, avait lui demandé au Conseil d'Etat d'"envoyer le signal" que le contrôle de la justice administrative ne serait pas "au rabais", évoquant la "dialectique éternelle entre la sécurité et la liberté".
Cette "dialectique éternelle", il reviendra donc au Conseil constitutionnel de s'en saisir, et pas seulement en ce qui concerne les assignations à résidence, dont 354 ont été prononcées au total contre des personnes dont le comportement paraît constituer une menace pour la sécurité et l'ordre public.
Les Sages ont aussi été interrogés par la LDH sur les perquisitions et les restrictions à la liberté de réunion, deux autres aspects controversés de l'état d'urgence.
Vendredi, le bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier Sur, a constaté qu'il "y a en ce moment quelque chose qui recule dans nos libertés publiques". La garde des Sceaux Christiane Taubira a dit lors d'une conférence de presse: "Si on ne trouve pas la bonne mesure entre les nécessités de la sécurité et la protection des libertés, cela peut avoir des conséquences extrêmement lourdes".
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