L'opposition vénézuélienne a remporté dimanche la majorité parlementaire pour la première fois en 16 ans, au terme d'un scrutin marqué par l'exaspération populaire face à la crise économique ayant vidé les supermarchés de ce pays pétrolier.
La Table de l'unité démocratique (MUD), grande coalition d'opposition, a décroché 99 des 167 sièges du Parlement monocaméral, contre 46 pour le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) du président Nicolas Maduro, a annoncé la présidente du Conseil national électoral, Tibisay Lucena. 22 sièges restent encore incertains, en attendant que s'achève le comptage des voix.
Avec une majorité proche des trois cinquièmes (il ne leur manque que deux sièges), cette coalition disparate, de la gauche à la droite dure, pourrait lancer un vote de censure contre le vice-président ou l'un des ministres. Elle veut adopter au premier semestre 2016 des réformes économiques et une amnistie pour les 75 prisonniers politiques qu'elle recense.
Mais dans ce régime présidentiel, elle devra lutter pour exercer un contre-pouvoir face au chavisme (du nom de l'ex-président Hugo Chavez), M. Maduro pouvant limiter les pouvoirs du Parlement, qui entrera en fonctions le 5 janvier, au risque toutefois d'entraîner de fortes protestations.
Malgré les craintes de troubles, dans l'un des pays les plus violents au monde, marqué en 2014 par des manifestations ayant fait officiellement 43 morts, la journée électorale s'est déroulée dans le calme et avec "une participation extraordinaire", selon Mme Lucena.
L'annonce des résultats officiels, après plusieurs heures de retard, a été accueillie dans certains quartiers de Caracas par des cris de joie, des pétards et des feux d'artifice.
Immédiatement après, Nicolas Maduro, 53 ans, est apparu, le visage grave, lors d'une allocution télévisée.
"Nous sommes venus avec notre morale, avec notre éthique, pour reconnaître ces résultats adverses, pour les accepter et pour dire à notre Venezuela que la Constitution et la démocratie ont triomphé", a déclaré l'héritier politique d'Hugo Chavez, au pouvoir depuis la mort de ce dernier 2013.
- 'Le changement a commencé' -
L'opposition était depuis plusieurs mois largement favorite pour ces élections, profitant du mécontentement populaire dans un climat de profonde crise économique provoquée par la chute des cours du brut, dans ce pays aux plus importantes réserves pétrolières au monde.
"Aujourd'hui le changement a commencé au Venezuela", s'est félicité le chef de la MUD, Jesus Torrealba.
Selon lui, "le peuple a parlé de manière claire, les familles vénézuéliennes sont lassées de vivre les conséquences de l'échec" du programme du PSUV, qui avait bâti sa popularité sur de nombreux programmes sociaux.
Sa victoire marque un tournant historique depuis l'arrivée au pouvoir du chavisme en 1999.
Elle survient deux semaines après une autre élection symbolique en Amérique latine, celle du libéral Mauricio Macri en Argentine, mettant fin à 12 ans de pouvoir de Nestor puis Cristina Kirchner, grands alliés du chavisme avec qui ils avaient commencé un mouvement de basculement à gauche de la région à l'aube des années 2000.
Au Venezuela, elle provoquera "une recomposition des forces politiques", assure l'analyste vénézuélien Nicmer Evans, tandis que le politologue John Magdaleno estime qu'elle peut instaurer un "contrepoids" dans un Etat dont les pouvoirs "sont totalement contrôlés" par le chavisme.
Plus pessimistes, Edward Glossop, analyste de Capital Economics, juge "improbable" "un grand changement de politique" et Diego Moya-Ocampos, expert du cabinet IHS, prédit "une paralysie politique, une aggravation des pénuries d'aliments et de biens et une instabilité gouvernementale".
Devant un bureau de vote de Chacao, quartier de l'est de Caracas, Filros Guzman, employé de restauration rapide de 24 ans, explique qu'il votait auparavant pour le PSUV car il "aimait son idéologie: le socialisme, une société égalitaire, sans exploitation".
"J'ai changé d'avis à cause des problèmes de vie quotidienne. On ne peut pas voter pour le gouvernement quand on a du mal à survivre".
Non loin de là, William Carrasco, 55 ans, raconte que chaque vendredi, il va d'un supermarché à l'autre, de 07h00 à 15h00, en quête de produits de base, du riz ou du papier toilette.
Une pénurie créée artificiellement par les commerçants selon le président Maduro, qui n'a cessé de dénoncer ces derniers mois une "guerre économique" mais dont la popularité a fondu sous l'effet de la crise, à 22% selon l'institut Datanalisis.
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