Sous l'écran géant où leur héros velu lave son honneur à coups de kalachnikov, ils transpirent, crient et dansent au milieu des volutes de haschich. Malgré les attentats de l'an dernier, les pachtounes pakistanais n'ont pas déserté leurs vieux cinémas de Peshawar.
Dans la pénombre du cinéma Arshad, le millier de spectateurs en longues chemises traditionnelles se tait, pressentant un tournant décisif dans "Laissez les pauvres tranquilles", le nouvel opus maison qui sort ce jour-là.
Sur l'écran, une ombre chétive entre dans une armurerie: la mère du héros, dévastée par la mort de son mari, victime de tortures policières. Face au marchand de mort, elle écarte son voile, découvrant un visage d'aïeule flétri au regard ivre de vengeance. Elle passe commande: "KA-LACH-NI-KOV !"
La salle explose en ruts virils: "Ouaaiiis!", "Vas-y la mère !". La vendetta, principe réputé chez les Pachtounes, peuple tribal et conservateur vivant entre le Pakistan et l'Afghanistan, sera comme de coutume au rendez-vous.
De retour chez elle, la matrone tend l'arme à son fils Gul Khan, sommé de venger le père. Ça tombe bien: le héros trapu a l'orgueil douillet, la gâchette facile et l'habitude de dire oui à sa maman.
Dans le hall de béton à deux étages plein à craquer du cinéma Arshad, l'air conditionné tombe en panne. La salle devient étuve, une sorte de hammam avec la fumée de haschich pour vapeur.
Pour le premier jour de la fête de l'Aïd El-Fitr, sept nouveaux films pachtounes sont sortis à Peshawar, berceau du cinéma local. Une renaissance: l'an dernier, deux attentats meurtriers dans d'autres cinémas, sans doute l'oeuvre d'islamistes radicaux dénonçant la "perversion" des films, y avaient plombé une industrie déjà mise à mal par la concurrence d'internet et des DVD.
Mais cette industrie a résisté, à l'image de la ville qui renaît après une sanglante décennie d'attentats rebelles talibans. Dans cette région à moitié illettrée et ne parlant souvent que le dialecte pachtoune, le cinéma, rare loisir abordable, a toujours su se trouver un public.
Tourné pendant l'été à Lahore (est) et dans les collines de Murree, près d'Islamabad, "Laissez les pauvres tranquilles" a été monté en cinq semaines. Juste à temps pour la première de l'Aïd à Peshawar, où les billets à 400 roupies (4 USD), le double du prix habituel, se sont arrachés dans une ambiance de kermesse masculine guillerette.
- Pop frénétique -
Fidèle aux canons du genre pachtoune, Gul Khan, le héros du film, est un homme pacifique, honnête et droit, mais forcé à se rebeller face à l'oppression et aux crimes des élites et de la police corrompues.
Pour se renouveler, le réalisateur Arshad Khan a ajouté des références à l'actualité, comme la mort du neveu de Gul Khan dans l'attaque de son école, inspirée du carnage taliban qui a tué plus de 130 enfants fin 2014 à Peshawar.
Autre passage obligé, la romance. Il n'y a bien sûr aucun baiser entre le héros et la belle infirmière qui le trouble, mais leurs danses portées par une pop locale frénétique sont fort suggestives.
La brune aux cheveux longs y fait tournoyer ses formes généreuses, tête et bras nus, ventre découvert sous un haut moulant à paillettes: l'exact opposé des larges tuniques, voiles et burqas de rigueur dans la région.
La scène fait monter la température dans la salle déjà transpirante. Les spectateurs sont hypnotisés. Certains se mettent à danser, tournant sur eux-mêmes en ondoyant des bras. D'autres se roulent un nouveau joint.
Mais Gul Khan sacrifie son idylle sur l'autel de la vengeance et se mue en Rambo local distribuant des rafales entre deux incantations révoltées, proférées le regard noir et la voix caverneuse.
Son clan finit par pulvériser le convoi ennemi à coup de roquettes via des effets spéciaux dignes des films occidentaux des années 1970, dont des lasers transformant chaque 4X4 en boule de feu, qui tranchent avec une réalisation en haute définition soignée.
Au terme des 2h30 du film, le héros embroche son pire ennemi, un député corrompu, après lui avoir coupé les deux bras.
- Peu fréquentable -
On est loin des chefs-d'?uvre en noir et blanc des années 1970, lettres de noblesses prudes et poétiques fondatrices du cinéma pachtoune. L'influence des guerres, afghanes notamment, l'ont rendu plus violent, et celle de l'Occident plus sexy.
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