Leur formation sur la "radicalisation religieuse" a débuté peu après les attentats de Paris. "Vous êtes le dernier rempart, il faut rester ouvert et vigilant", lance aux stagiaires, surveillants, conseillers de probation ou directeurs d'établissement, un intervenant de l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire (Enap).
Voilà une semaine que ces stagiaires, une cinquantaine venus de toute la France, apprivoisent l'islam, son âge d'or, ses dérives, pour mieux comprendre les détenus qu'ils côtoient chaque jour et mieux répondre à cette menace qui grandit, "dedans comme dehors".
Moins de dix jours après les attaques jihadistes, ils sont arrivés "remontés à bloc" sur le campus de l'Enap à Agen (Lot-et-Garonne), avec l'envie d'être utiles mais, reconnaissent-ils, l'esprit encore "embrouillé".
"Tous les parcours sont singuliers", leur répète l'intervenant, Hamid Brohmi, expert en géopolitique et radicalisation. "J'espère que vous sortirez de ce stage en vous disant que la réalité est complexe."
Un pas a visiblement été franchi. "Il y a une semaine, je pensais qu'un salafiste était un terroriste", dit Thomas, surveillant de 28 ans. "Les convertis sont les plus virulents, j'en ai un qui s'est circoncis lui-même. Il a des choses à prouver mais ça ne veut pas dire qu'il va devenir violent", analyse Emmanuel, 37 ans.
- "Faire le tri" -
Kevin, 27 ans, encadre des surveillants dans un gros centre pénitentiaire: "Dès qu'on trouvait des livres en arabe, des trucs liés au Coran, on faisait un signalement. J'ai réalisé qu'il fallait faire le tri pour ne pas noyer les renseignements sous des tonnes d'infos inutiles."
Dans l'amphi, l'heure est au débriefing d'un film pédagogique, réalisé par l'Enap et destiné à terme à l'ensemble du personnel des prisons: cinq court-métrages, des docu-fictions mettant en scène une conversion, une réunion autour d'un cas délicat, une galerie de portraits avec un salafiste piétiste, un radicalisé violent, un dissimulateur
"L'idée, c'est de les pousser à développer une vigilance tout en conservant une distance critique: qu'est-ce que je vois en entrant dans une cellule? Ce profil, est-ce un radicalisé violent ou un révolté fragile qui à une autre époque serait entré dans la secte Moon", explique le directeur de l'Enap, Philippe Pottier.
Les saynètes sont commentées par des experts comme le sociologue Samir Amghar, l'anthropologue Dounia Bouzar ou l'ex-juge antiterroriste Marc Trévidic.
"On peut mettre des mots sur des situations qu'on connaissait sans savoir les analyser", dit une jeune stagiaire. "Mais pour quoi faire? Ce qui nous manque, c'est la réponse de l'État à cette situation", lance un autre.
La chancellerie, qui rappelle qu'une minorité (15%) des personnes radicalisées se sont radicalisées en prison, a lancé plusieurs chantiers depuis les attentats de janvier, notamment un programme pilote de détection et prise en charge des radicalisés, et annoncé l'augmentation des effectifs: 1.500 surveillants seront ainsi embauchés en 2016, auxquels s'ajouteront une partie des 2.500 postes pour la justice promis par François Hollande après les tueries du 13 novembre.
Un "centre de déradicalisation" est à l'étude, et des quartiers spéciaux prévus dans plusieurs prisons. Une expérience déjà menée depuis un an à Fresnes, avec 23 radicalisés isolés des quelque 2.200 autres détenus, comme l'explique aux stagiaires une conseillère d'insertion et de probation en poste dans l'établissement.
Elle dit la difficulté de parler "d'insertion" à des jeunes pour la plupart pas encore jugés et dont certains vont sans doute passer beaucoup de temps en détention.
"Pourquoi les regrouper au lieu de les disperser comme en Angleterre? Est-ce qu'on ne décide pas qu'ils sont déjà irrécupérables?", demande un surveillant. "A Fresnes, l'objectif était surtout de les isoler pour protéger les autres détenus", répond la jeune femme.
Certains ne croient "pas du tout" à la déradicalisation, d'autres estiment qu'"on n'ira pas loin" au vu du manque d'effectifs et de "l'explosion prévisible" des dossiers de jihadisme à venir.
L'Enap, qui forme tous les métiers de l'administration pénitentiaire, du directeur au surveillant, avec deux promotions par an, en formera pour la première fois trois en 2016. "On n'a jamais fait un tel effort, souligne le directeur. Rien que pour les surveillants, on passera de 1.500 à 2.100."
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