"Avant, il pleuvait régulièrement, la récolte était bonne. Aujourd'hui, c'est complètement différent", se désole Amor Slama, un oléiculteur tunisien de 65 ans dont la famille possède quelque 125.000 pieds d'oliviers sur 230 hectares à Mornag, au sud de Tunis.
Exsangue économiquement, la Tunisie pourra compter cette année sur des exportations records d'huile d'olive, mais cet "or vert" est menacé par le dérèglement climatique.
Dans ce petit pays d'Afrique du Nord, seules quelques centaines de kilomètres séparent les rivages fertiles de la Méditerranée des premières dunes du Sahara, faisant de la Tunisie un pays au c?ur des enjeux climatiques actuels.
"Lorsque j'ai commencé à travailler dans l'oléiculture il y a 30 ans, je n'aurais jamais pensé qu'un jour je serais obligé d'arroser les arbres", témoigne M. Slama, qui raconte que le sol de ses champs est complètement grillé en été.
Il évoque aussi un autre problème, ces "pluies diluviennes en plein été qui charrient la terre et nuisent aux arbres".
A court terme, l'heure est pourtant aux réjouissances pour l'oléiculture tunisienne, un secteur qui assure environ 40% des revenus des exportations agricoles du pays et 5% de l'ensemble des exportations, selon des statistiques officielles.
Sur cette terre productrice d'huile d'olive depuis 3.000 ans, 2015 s'annonce comme une année record: avec 340.000 tonnes d'huile d'olive produites, dont 312.000 partent à l'export, la Tunisie se positionne comme le premier exportateur au monde - une première, s'est récemment félicité le gouvernement.
Les recettes, de près d'un milliard d'euros, sont "sans précédent", souligne auprès de l'AFP un conseiller du ministre de l'Agriculture, Anis Rayani.
Une aubaine pour l'économie tunisienne, que l'instabilité consécutive à la révolution de 2011 a plongée en plein marasme. Alors que la croissance n'atteindra pas 1% en 2015, les revenus records du secteur oléicole vont permettre d'"éviter le pire", selon le ministère des Finances.
- 80 millions d'oliviers -
Pour autant, Amor Slama ne cache pas son profond pessimisme. "J'ai commencé à remarquer l'impact du changement climatique il y a plus de 20 ans, surtout celui de la hausse des températures sur la récolte: d'une année à l'autre, la production d'huile d'olive peut régresser de 300 à 30 tonnes", affirme-t-il.
Interrogé par l'AFP, un responsable du ministère de l'Agriculture, Chokri Bayoudh, note que, de tout temps, le succès des récoltes a été dicté par les aléas de la météo. "Mais avant, nous connaissions une sécheresse sévère une année sur cinq. Aujourd'hui, c'est en moyenne deux sur cinq", dit-il.
Ce dérèglement climatique menace l'ensemble de l'industrie oléicole, qui représente l'activité principale de plus des deux tiers des agriculteurs (390.000 sur 560.000) et une source de revenus pour environ un million de Tunisiens.
A ce jour, si le pays compte 80 millions d'oliviers, 80% des oliveraies ne sont pas irriguées et vivent de l'eau de pluie. Elles se trouvent en grand nombre dans le centre et le sud, où l'aridité du climat est la plus marquée.
D'ici 2030, la production de ces oliveraies pourrait diminuer de moitié, prévient une récente étude du ministère de l'Agriculture et de l'agence de coopération allemande.
Dans ces conditions, comment subsister sans se ruiner ? "Pour que les arbres aient de l'eau, nous avons déjà dû dépenser beaucoup d'argent: creuser un puits profond, construire des bassins pour emmagasiner l'eau de pluie" remarque M. Slama. "Mais avec la sécheresse, l'eau du puits est devenue trop salée puis s'est tarie", poursuit-il en arpentant les terres craquelées d'un bassin de rétention totalement à sec.
Au ministère de l'Agriculture, on assure qu'on "ne restera pas les bras croisés". "Nous devons nous adapter et nous avons commencé à mettre en ?uvre un plan pour stabiliser la production dès les prochaines années", argue Chokri Bayoudh.
Les autorités tunisiennes encouragent par ailleurs les agriculteurs à planter des espèces locales d'oliviers plus résistantes à la sécheresse et entendent elles-mêmes planter jusqu'à cinq millions d'oliviers dans sept gouvernorats du nord du pays, où la moyenne des précipitations est plus élevée.
Ce projet, d'un coût de 39,5 millions de dinars (18 millions d'euros), a été officiellement lancé début novembre et prendra fin en 2020.
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