Le drapeau français a pris un "coup de jeune" après les attentats de Paris, incarnant le symbole d'une société libre et ouverte, mais menacée par les jihadistes, qui se rajoute à son interprétation traditionnelle, plus patriotique et sécuritaire.
François Hollande invite les Français à "pavoiser" leur domicile avec un drapeau bleu-blanc-rouge, lors de l'hommage solennel qui sera rendu vendredi aux Invalides aux victimes des attentats du 13 novembre.
"Comme le slogan +Je suis Charlie+ après les attentats de janvier, qui défendait la liberté d'expression et de caricature, le bleu-blanc-rouge est devenu une icône", note Sandra Laugier, enseignante de philosophie à l'université Panthéon Sorbonne (Paris I).
Après les attentats du 13 novembre qui ont fait 130 morts, la Marseillaise a retenti partout. De nombreux monuments dans le monde se sont drapés d'éclairages tricolores en solidarité avec la France.
A New York, le One World Trade Center, bâti sur le site des tours jumelles détruites le 11 septembre 2001. A Sydney, l'opéra. A Rio, le Christ Redempteur qui domine la ville. A Berlin, la porte de Brandebourg. Et beaucoup d'autres.
Les drapeaux, dont les ventes explosent, ont fleuri ailleurs: sur les réseaux sociaux, Facebook a suggéré à ses abonnés de glisser un filtre tricolore, critiqué par certains, sur leurs portraits. Sur les lieux des attentats, aux côtés des montagnes de fleurs et des messages d'hommage aux victimes. François Hollande a appelé les Français à pavoiser leur domicile vendredi pour s'associer à la cérémonie aux Invalides.
- Symbole du "goût de la vie" -
Pour Sandra Laugier, le tricolore est devenu un symbole, "comme l'affiche d'Obama +Yes we can+", qui "dépasse la France, et montre qu'elle représente quelque chose de spécial dans le monde".
Depuis le 13 novembre, boire un verre au bistrot "est soudain devenu une valeur universelle" qui s'est "coagulée dans le drapeau avec ses autres signifiants: Jeanne d'Arc, la nation, l'autorité" selon le sociologue François de Singly, enseignant à Paris Descartes (Paris V).
"Or le café est un symbole de socialisation qui ne dépend ni de la religion, ni de la famille, ni de l'Etat" souligne Mme Laugier. Le drapeau brandi célèbre ainsi le "goût de la vie" par opposition au "goût de la mort" attribué aux jihadistes et au drapeau noir de l'organisation Etat islamique (EI).
Du coup, la bannière tricolore a pris "un coup de jeune, elle s'est déringardisée", ajoute M. de Singly.
Avant les attentats, à la différence d'autres pays, le drapeau était plutôt vécu par les Français comme "un peu embarrassant", admet-il.
"Depuis les années 1980", il reste associé aux "nostalgiques du retour de l'autorité, au nationalisme, et à la montée de l'extrême droite", dit à l'AFP Carole Reynaud-Paligot, chercheuse associée à Paris I.
La banderole symbole de l'unité française, alliant le blanc royal encadré du bleu et du rouge de la garde nationale parisienne, a été officialisée par le marquis de La Fayette en 1789. Depuis, elle a "traversé l'histoire" et appartient "à tous et à chacun", souligne sur son blog l'historien Fabrice d'Almeida, enseignant à Panthéon Assas (Paris II).
- Risque de "dérive nationaliste" -
Mais "la célébration d'un mode de vie via le drapeau ne suffira pas" à répondre au défi sociétal posé par les attentats, avertit Mme Reynaud-Paligot, historienne des XIXe et XXe siècles.
"Le terrorisme n'est pas l'apanage de l'islamisme radical. Il a touché l'anarchisme et les extrêmes, droite et gauche. Et on oublie de rappeler la tradition d'accueil des étrangers par la République aux XIXe et XXe siècles" dit-elle, en s'inquiétant d'un risque de "dérive nationaliste", autour du "rejet de l'autre" et d'une "intolérance face à une religion".
Pour M. de Singly le drapeau a un "potentiel rassembleur" plus important que le slogan "Je suis Charlie", dans lequel une partie de la société française ne s'est pas reconnue.
"Un +Nous+ collectif a d'autant plus de chance de se développer dans la société qu'il existe un +eux+ menaçant" estime-t-il.
Le chanteur du groupe Zebda, Magyd Cherfi, a ainsi affirmé ne s'être jamais senti "si Français" que depuis le "carnage".
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