Un "permis de conduire" la prière: le Conseil français du culte musulman (CFCM) a annoncé mardi la mise en ?uvre d'une "certification" des imams en espérant qu'elle permettra, même si elle n'est pas un passage obligé, de promouvoir un "islam ouvert" face à la radicalisation jihadiste.
Annoncée onze jours après les attentats de Paris, cette "habilitation" devra permettre de s'assurer du "parcours de formation théologique et profane" des imams et portera notamment sur leur "connaissance du contexte français, de l'histoire des religions, des institutions" de la République ainsi que de la laïcité.
Il s'agira d'une sorte de "permis de conduire", susceptible de "retrait", a assuré le président du CFCM, Anouar Kbibech, à la sortie d'une rencontre place Beauvau avec le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve.
Le CFCM est ainsi en train d'élaborer "une charte de l'imam" qui sera un "engagement" de chacun sur "un certain nombre de points forts", notamment "des éléments de discours pour qu'ils puissent propager un islam ouvert, tolérant" et "respectueux des lois de la République", a-t-il ajouté, sans plus de précisions.
Anouar Kbibech a également confirmé la mise en place prochaine d'un "conseil religieux", chargé d'"élaborer ce discours alternatif" afin de "démonter sur le plan théologique tout l'argumentaire utilisé par les organisations terroristes et jihadistes pour embrigader nos jeunes".
"Le temps de l'action est venu, les musulmans de France prendront toute leur part" dans ce combat, a assuré Anouar Kbibech, comme en réponse aux critiques pointant l'inertie du CFCM sur de nombreux dossiers depuis sa création en 2003.
Laïcité oblige, ce ne sont pas les autorités publiques elles-mêmes qui habiliteront les imams, ce qu'interdit formellement la loi de 1905 portant séparation des Églises et de l?État.
Cette tâche reviendra au CFCM, censé être un interlocuteur représentatif auprès de l?État dans un paysage musulman français très largement sunnite, donc sans clergé, et de surcroît soumis à l'influence voire à la rivalité des pays d'origine de fidèles, principalement l'Algérie, le Maroc et la Turquie.
- Permis de prêche pas obligatoire -
Le CFCM est animé par des responsables de fédérations de mosquées (le RMF marocain, la grande mosquée de Paris liée à l'Algérie, le CCMTF turc), et travaille en lien avec l'influente Union des organisations islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans.
Mais il est loin de représenter l'intégralité des 2.500 mosquées et salles de prière, sans parler des quelque 5 millions de musulmans de France, pratiquants ou non.
A peine la moitié des 1.600 à 1.700 imams permanents, temporaires ou itinérants que compte la France, selon les estimations, sont affiliés à une fédération, dont 300 directement "détachés" par des pays étrangers. Ces derniers sont depuis peu contraints de suivre un diplôme de "formation civile et civique" dans une des 13 universités qui les proposent (à Paris, Lyon, Strasbourg). L'enjeu de la certification sera important notamment pour tous les autres, imams indépendants et parfois "autoproclamés" auxquels ont recours des mosquées sans lien avec les grandes fédérations.
L'obtention du label du CFCM ne conditionnera pas la possibilité ou non pour un imam de prêcher dans ces lieux. Mais "retirer l'habilitation permettrait de mettre les mosquées devant leurs responsabilités", estime Anouar Kbibech. "Quand un gestionnaire d'association cultuelle saura que l'imam qui se présente devant lui n'a pas d'habilitation, je pense qu'il fera attention à deux fois avant de le recruter", abonde son secrétaire général, Abdallah Zekri.
Mais Bernard Godard, qui fut longtemps le "Monsieur islam" de la Place Beauvau, doute que le CFCM, qui "n'est pas une autorité théologique", puisse octroyer lui-même cette habilitation, et prédit qu'il s'appuiera sur les grandes fédérations pour le faire.
"Le risque, c'est que cela favorise encore plus les imams étrangers, ceux qui sont détachés par les pays auxquels sont liées ces fédérations", estime ce spécialiste.
Mais, pour lui, "il ne faut pas être négatif. Le climat est tel que les responsables (de mosquées) vont peut-être être amenés à aller chercher ces habilitations pour leurs imams".
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