"J'ai cru qu'on avait saccagé le papier peint des voisins". En réalité, ce couple de Budapest venait de tomber, derrière les briques de son appartement, sur d'inestimables documents relatifs à la déportation des Juifs de la capitale hongroise.
C'était un chantier de rénovation comme un autre dans un vieil appartement du centre-ville dominant le parlement. Jusqu'à ce que le tournevis d'un ouvrier aille fureter dans la fissure d'un mur et fasse apparaître des couches de papiers.
Brigitte Berdefy et son mari Gabor s'aperçoivent alors qu'il ne s'agit pas du papier peint du voisin mais de feuillets volants manuscrits et que dans la cache aménagée derrière les briques, des piles de papiers reposent dans la poussière: 61 kilos exactement.
Toujours lisibles malgré le temps et les bouts de plâtre incrustés par endroits, les documents livrent leur secret: il s'agit de 6.300 fiches de recensement des Juifs de Budapest, un comptage auquel s'étaient livrées les autorités hongroises en 1944 afin de préparer la déportation des 200.000 Juifs de la ville vers les camps nazis.
"Le contenu et l'échelle de la découverte est sans précédent" pour la Hongrie "et nous aide à compléter des lacunes dans l'histoire de l'Holocauste à Budapest", explique Istvan Kenyeres, directeur des archives de la ville, auxquelles la trouvaille a été confiée.
"La mauvaise qualité du papier en raison du rationnement durant la guerre" a rendu la plupart des documents d'époque "plus abîmés que des archives médiévales", poursuit-il.
Mais la trouvaille des Berdefy, elle, est exploitable et depuis septembre, les employés des archives municipales repassent soigneusement, au sens propre du terme, chaque page extirpée de la cache pour la remettre en état.
Le recensement de mai 1944 avait pour but d'identifier les immeubles destinés à devenir des "maisons à l'étoile jaune" où l'on rassemblerait les Juifs avant de les transférer dans le ghetto de la ville.
Deux mois plus tôt, l'armée allemande avait envahi la Hongrie et les déportations avaient aussitôt commencé.
- Ils ne croyaient pas au pire -
Sur les formulaires de recensement étaient indiqués le nom des habitants de chaque immeuble et leur confession juive ou de chrétienne.
"Les Juifs ont rempli les fiches honnêtement, refusant de croire au pire", assure M. Kenyeres.
Après le recensement, des dizaines de milliers de Juifs ont été transférés dans quelque 2.000 "maisons à l'étoile jaune" sur lesquelles était peinte en jaune l'étoile de David, puis dans le ghetto de la capitale.
Jusqu'à l'arrivée des forces soviétiques, le ghetto de Budapest a abrité jusqu'à 70.000 Juifs, dans des conditions déplorables, des milliers succombant au froid, à la faim ou à la maladie. Environ 100.000 Juifs se trouvaient à Budapest quand la ville a été libérée le 13 février 1945.
Quelque 600.000 Juifs hongrois ont péri dans les camps de la mort nazis. Parmi eux, 450.000 ont été déportés à Auschwitz en deux mois seulement, avec l'aide de miliciens hongrois, après l'invasion de la Hongrie en 1944.
Selon Istvan Kenyeres, les archives du recensement ont probablement été dissimulées dans le double fond du mur par les autorités hongroises dans leur fuite devant l'avancée soviétique.
Seule une partie des arrondissements de Budapest étant couvert par les documents de l'appartement des Berdefy, des milliers d'autres fiches de recensement manquent encore et "les gens devraient regarder derrière les murs de chez eux, on ne sait jamais ce qu'on peut trouver", sourit l'historien.
Les célébrations des 70 ans de l'Holocauste en Hongrie cette année ont suscité la controverse, de nombreux groupes organisateurs refusant ou retournant les fonds distribués par le gouvernement de Viktor Orban, l'accusant de minimiser la complicité de l'Etat hongrois dans l'organisation de la déportation, ce que nie le gouvernement.
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