Il a 23 ans et des yeux caverneux: en neuf mois de captivité aux mains des jihadistes de l'EI, Mohammed, un étudiant afghan, a beaucoup vieilli, rescapé par miracle d'une angoissante détention où il a été torturé et a lui-même enterré la tête d'un compagnon décapité.
Si les yeux sont le reflet de l'âme, alors celle de Mohammed Youssef est salement amochée. Son regard bleu se perd dans les souvenirs de l'interminable épreuve.
"Ils m'ont frappé, tabassé, fouetté", raconte-t-il à l'AFP à Kaboul, dans la maison de son cousin où il a trouvé un refuge temporaire.
Ses tortionnaires sont des combattants auto-proclamés du groupe Etat islamique (EI), auquel des groupuscules de rebelles islamistes ont commencé à se rallier depuis un an en Afghanistan. Souvent ex-talibans, parfois aussi combattants étrangers, lointains cousins de ceux qui ont tué 129 personnes à Paris vendredi dernier.
En février dernier, Mohammed, étudiant en ingénierie sans histoire à Hérat, la principale ville de l'ouest, prend le car pour Kaboul.
Si son âme est hantée, ses souvenir sont intacts lorsqu'il revoit ces "hommes armés de kalachnikovs" arrêter le car en se faisant passer pour des soldats dans la province de Ghazni (sud).
Selon Mohammed, les ravisseurs venaient d'Ouzbékistan, qui fournit régulièrement des combattants à la nébuleuse jihadiste internationale, et affirment à leurs otages vouloir les échanger contre des compagnons d'armes détenus par le gouvernement de Kaboul.
Mais ils semblent en profiter pour assouvir des desseins moins avouables, et plus conformes à l'idéologie sectaire de l'EI, réseau extrémiste sunnite violemment anti-chiite.
Au moment de la prise d'otage, note Mohammed, ils "cherchaient des chiites" hazaras, une minorité souvent discriminée et parfois persécutée par le passé dans ce pays majoritairement sunnite.
Manque de chance, Mohammed est sunnite mais a oublié sa carte d'identité. Avec une trentaine de compagnons d'infortune, il est emmené en voiture à "six ou sept heures" de là, dans une base retirée. Le calvaire commence.
"Parfois ils nous demandaient de garder les bras en l'air ou de rester accroupis pendant 5 ou 6 heures. Le soir, ils nous attachaient les pieds et les mains et nous bandaient les yeux".
"On avait très peu à manger et à boire: le matin une tasse de thé et du pain, et le soir deux plateaux de riz pour quinze personnes".
- Sauvé par les talibans ? -
Selon les autorités, l'EI a récemment décapité sept Hazaras, un acte qui a poussé des milliers de personnes à manifester à Kaboul pour dénoncer cette cruauté.
Les ravisseurs de Mohammed ont, eux, décapité trois otages devant ses yeux. Avant d'exécuter l'un d'entre eux, un employé du gouvernement, "ils lui ont dit qu'il était contre Dieu". "C'est moi qui ai enterré sa tête" pour lui donner un semblant de dignité, glisse Mohammed.
L'ex otage n'a pas été surpris en apprenant les attentats de Paris. Pour lui, les combattants de l'EI ne sont que "des ennemis de l'humanité". "Je leur ai demandé quel était mon péché. Ils m'ont dit que j'acceptais le gouvernement et qu'ils allaient me décapiter", raconte-t-il encore.
Il dit avoir dû son salut "à des talibans" qui l'ont libéré, lui et quatre compagnons, à l'issue d'une bataille rangée avec ses ravisseurs. Une belle ironie du sort, les talibans ayant eux-mêmes largement fait couler le sang dans le pays en 14 ans de rébellion.
Mais la cruauté affichée par l'EI, leur rival naissant dans le pays, les ferait presque passer pour des rebelles "modérés".
Et selon Michael Kugelman, du centre de réflexion américain Woodrow-Wilson, elle pourrait arranger les talibans, qui aimeraient se refaire une réputation auprès des civils afghans, premières victimes du conflit, pour les "persuader qu'ils représentent une alternative pas si mauvaise" au gouvernement de Kaboul.
Même si le gouvernement assure être à l'origine de sa libération, Mohammed affirme que ce sont des talibans qui l'ont sauvé et remis ensuite à des chefs tribaux locaux. "Les talibans nous ont bien traités. Je leur en suis très reconnaissant", dit-il.
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