Le parti de l'opposante birmane Aung San Suu Kyi a obtenu vendredi la majorité absolue au Parlement et sera en mesure de former un gouvernement, d'après les derniers résultats officiels qui ouvrent la voie à un bouleversement historique dans l'ex-Etat paria.
Cinq ans jour pour jour après sa libération de résidence surveillée, la lauréate du prix Nobel de la paix permet à son parti, autrefois interdit, d'accéder aux responsabilités.
Le seuil qui permet à la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d'être majoritaire dans les deux chambres, malgré la présence d'un quart de députés militaires non élus, est enfin atteint.
D'après les derniers résultats de la commission électorale, qui n'a pas encore terminé le décompte, la LND a remporté 348 sièges.
"Ce sera vraiment un Parlement dominé par la LND, ils seront capables de faire adopter toutes les lois qu'ils souhaitent et ils n'auront pas à former de coalition", analyse Richard Horsey, expert interrogé par l'AFP.
Ce raz-de-marée pour le parti de Suu Kyi ne laisse que des miettes à ses adversaires, notamment le parti au pouvoir des héritiers de la junte militaire.
Ces héritiers de l'ancien régime resteront toutefois une force politique cruciale dans le pays grâce aux 25% de députés militaires. Mais aussi parce que le chef de l'armée a le pouvoir de nommer certains ministres clés comme celui de l'Intérieur et de la Défense.
Mais l'analyste Richard Horsey estime toutefois que pour cette période de transition, la "dame de Rangoun" devra s'attacher à "garder tout le monde à bord" et être diplomate avec les militaires.
Elle se retrouve néanmoins, pour la première fois, en position de force face à ceux qui l'ont maintenue 15 ans en résidence surveillée. Elle ne pourra pas toutefois devenir présidente en raison d'une Constitution taillée sur mesure contre elle par la junte, qui interdit à toute personne ayant des enfants étrangers de se présenter - les siens ont la nationalité britannique.
Mais elle a déjà prévenu, sans fournir de précisions, qu'elle avait "un plan" et qu'elle serait "au-dessus du président".
Aung San Suu Kyi a déjà appelé le président birman et le chef de l'armée à des discussions de réconciliation nationale. Elle se rendra lundi à Naypyidaw, la capitale administrative située à cinq heures de route de Rangoun, pour la reprise de la session du Parlement sortant, occasion de négociations en coulisses.
Jusqu'ici les ex-généraux au pouvoir depuis l'autodissolution de la junte en 2011, après des décennies de dictature militaire, ont annoncé qu'ils joueraient le jeu du passage de relais.
Même la puissante armée birmane s'est dite prête à "coopérer" et le président Thein Sein a félicité Aung San Suu Kyi pour "avoir remporté l'approbation du peuple" lors des premières élections libres depuis 25 ans.
La réaction de l'armée à une écrasante victoire était l'un des principaux motifs d'inquiétude, Aung San Suu Kyi ayant promis de détricoter un système donnant aux militaires un pouvoir politique considérable.
- "Beaucoup de travail" -
"Nous avons demandé l'ouverture d'un dialogue. Ce n'est qu'après ces rencontres que les choses pourront avancer", a déclaré à l'AFP Nyan Win, porte-parole de la LND après l'annonce des derniers résultats.
Dans ce contexte, la stratégie de la LND depuis le vote a été de faire profil bas, pour laisser au gouvernement post-junte le temps d'accepter sa défaite. Pourtant, la foule de ses partisans n'attend que le signal de Mme Suu Kyi pour laisser éclater sa joie, dans un pays où l'émotion suscitée par ces élections est intense mais n'a pas encore pu vraiment s'exprimer, Aung San Suu Kyi ayant donné la consigne d'attendre les résultats définitifs.
Sa victoire a néanmoins déjà été reconnue par de nombreux chef d'Etat. Le président américain Barack Obama, qui a par deux fois lors de voyages officiels en Birmanie rencontré Aung San Suu Kyi, a "salué les efforts et les sacrifices constants" de l'opposante, qui n'a pas pu voir grandir ses deux fils, restés en Angleterre avec leur père.
Une fois l'euphorie de la victoire retombée, la partie sera néanmoins serrée, en raison du poids politique et économique des militaires.
Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, qui l'a félicitée, a également loué "le courage et la vision" du président Thein Sein pour avoir mené des réformes depuis quatre ans, malgré des signes de crispations comme l'arrestation d'étudiants récemment.
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