Ancien chauffeur de taxi, le magnat chinois Liu Yiqian, jusque-là un quasi-inconnu hors de Chine, a stupéfait le monde des collectionneurs en s'offrant le "Nu couché" de Modigliani pour plus de 170 millions de dollars. Mais cet amateur d'art n'en est pas à son coup d'essai.
En neuf minutes d'enchères chez Christie's à New York, "Nu Couché" est devenu mardi la deuxième toile la plus chère au monde jamais vendue sous le marteau après "Les femmes d'Alger (version O)" de Picasso, adjugée en mai pour 179,4 millions de dollars.
Et Liu Yiqian est, lui, sorti du relatif anonymat dont il aimait s'entourer, tout en faisant la démonstration une nouvelle fois de la puissance financière des collectionneurs chinois, désormais incontournables sur le marché de l'art.
Un porte-parole de l'homme d'affaires a indiqué mercredi à l'AFP à Shanghai que le "Nu couché" de Modigliani sera exposé en 2017 au Long Museum de Pudong pour le cinquième anniversaire de son ouverture.
Âgé de 51 ans, Liu Yiqian, président du groupe Sunline, est doté d'une fortune estimée à 1,38 milliard de dollars par le magazine Forbes et figure à ce titre parmi les super-riches de la Chine communiste.
Il a bâti son empire d'abord en jouant à la Bourse naissante de Shanghai dans les années 1990 pour se retrouver aujourd'hui, via notamment la finance et l'immobilier, à la tête d'un énorme conglomérat aux activités très diversifiées, incluant chimie et pharmacie.
Il a commencé à se faire connaître sur le marché de l'art en se lançant dans des acquisitions pour les deux musées qu'il a créés à Shanghai, le Long Museum Pudong et le Long Museum West Bund, ce dernier ayant ouvert l'an passé dans la métropole chinoise.
Liu Yiqian a ainsi acquis en 2014 pour un peu plus de 36 millions de dollars une délicate tasse en porcelaine de l'époque Ming, finement décorée de coqs et de poules. Sa photo en train de déguster un thé dans cette coupe un brin onéreuse avait fait un mini-scandale sur les réseaux sociaux chinois.
- Éclectique et controversé -
En avril, le milliardaire s'était offert pour 14,7 millions de dollars un vase bleu de l'époque Song, vieux de 800 ans. Le mois précédent, il avait acquis pour 14 millions de dollars un recueil de calligraphies bouddhistes de l'époque Ming.
Il a justifié certaines de ces acquisitions en invoquant une forme de patriotisme: restituer à la Chine des objets qui avaient été pillés.
"Comme les Getty, les Guggenheim ou les Whitneys il y a une longue histoire des musées en Occident et peut-être que maintenant en Chine des collectionneurs veulent se faire un nom, pour eux-mêmes et pour marquer l'histoire", avait indiqué à l'AFP à son sujet l'an dernier Clare Jacobson, auteur de "Nouveaux musées en Chine".
En 2014 aussi, M. Liu a payé un prix record --45 millions de dollars-- pour un tangka tibétain sur toile du XVe siècle, également présenté comme un rapatriement du patrimoine chinois.
Le personnage s'est toutefois retrouvé pris dans une controverse autour de son acquisition, pour 8,2 millions de dollars, d'un rouleau censé être daté de la dynastie des Song (960-1279): un faux, en réalité, ont conclu des experts chinois réputés.
L'homme se tient à l'écart des médias, notamment depuis une série du New York Times sur le marché chinois de l'art qui le qualifiait de "nouveau collectionneur".
Porte-parole du Long Museum, Mme Hu Xiaofei a écarté toute crainte que les autorités chinoises voient d'un mauvais ?il le nu de Modigliani qui, il y a quelques années, aurait pu être jugé à caractère "pornographique".
"C'est de l'art, et le devoir du musée, c'est de faire partager à tout le monde les ?uvres d'art innovatrices", dit-elle.
Son acquisition montre en tout cas l'éclectisme de Liu Yiqian, qui déroule une collection allant des temps anciens à l'époque contemporaine, déclinée avec des artistes chinois comme étrangers.
Normal, pour Mme Hu, car le public chinois "ne vit plus dans les années 1970 ou 1980. C'est le XIXe siècle, maintenant".
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