Des millions de Birmans se pressaient devant les bureaux de vote dimanche pour participer à des législatives historiques, en mesure de propulser au pouvoir l'opposante Aung San Suu Kyi.
"Je n'ai pas pu dormir de toute la nuit. C'est la première fois que je vote, je suis enthousiasmée", a confié à l'AFP Ohnmar Win, habitante de Rangoun de 38 ans, venue voter dès l'aube pour la dirigeante de l'opposition, qui a un statut d'icône dans son pays.
Toute l'attention médiatique était tournée vers celle qui a passé plus de 15 ans en résidence surveillée et vote elle-même, à 70 ans, pour la deuxième fois dans son propre pays.
Vêtue de rouge, couleur de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), Aung San Suu Kyi a déposé son bulletin dans l'urne en début de matinée dans une école du centre de Rangoun, cernée par des médias du monde entier.
Acclamée par des partisans criant "victoire", Suu Kyi s'est rendue ensuite dans sa circonscription électorale de Kawhmu, à quelques heures de Rangoun, où elle espère se faire réélire à son poste de députée, décroché lors de législatives partielles en 2012 qui avaient été un raz-de-marée pro-LND.
Loin de la cohue médiatique entourant Suu Kyi, le président Thein Sein a voté en milieu de journée à Naypyidaw, la capitale administrative, avant d'exhiber son doigt teinté d'encre - preuve qu'il a voté - comme le font des milliers de Birmans. Son parti, l'USDP, formé d'anciens généraux, est le principal obstacle sur la route de la LND.
La tension, mélange d'enthousiasme et d'inquiétude, monte, alors que la LND a toutes les chances de l'emporter, et d'arriver enfin au pouvoir après des décennies de répression.
Le chef de l'armée, Min Aung Hlaing, qui a aussi voté à Naypyidaw, a redit que le peuple était souverain. "Il n'y a qu'aucune raison pour nous de ne pas accepter" le résultat du scrutin, a-t-il expliqué à la presse.
Lors des dernières élections nationales jugées libres, en 1990, la junte s'était laissée surprendre et avait laissé la LND concourir et gagner. Mais les résultats n'avaient pas été reconnus et Aung San Suu Kyi, alors en résidence surveillée, n'avait pas pu voter. Et en 2010, la LND avait boycotté les élections.
Ce scrutin est donc considéré comme un test du succès éventuel de la transition démocratique amorcée il y a quatre ans, avec l'autodissolution d'une junte ayant régné d'une poigne de fer depuis 1962.
- 'Mes mains tremblaient' -
La plupart des 30 millions de Birmans appelés à s'exprimer ce dimanche n'ont jamais voté de leur vie. De nombreux électeurs exhibaient donc fièrement leur doigt coloré par l'encre, les plus jeunes faisant même des selfies ensuite rapidement partagés sur les réseaux sociaux.
"J'étais si inquiète de faire quelque chose de mal que mes mains tremblaient", explique Kay Khine Soe, vendeuse de poisson de 37 ans, électrice dans la circonscription de Suu Kyi.
Et nombre de Birmans manifestaient tout l'amour qu'ils portaient à "mère Suu", le surnom de la lauréate du prix Nobel de la paix, dont les portraits ornent de nombreux foyers, au côté de son père, le général Aung San, héros de l'indépendance de l'ex-colonie britannique, assassiné en 1947.
Mais, en l'absence de tout sondage, il est très difficile de déterminer l'ampleur de sa popularité à travers le pays. Et les nuages se sont accumulés au-dessus du scrutin.
Dans un communiqué, la LND a affirmé avoir eu vent d'irrégularités dans des villages du delta de l'Irrawaddy avec le possible achat de votes.
L'opposition et les observateurs avaient déjà pointé: le chaos du vote anticipé à l'étranger, l'impossibilité pour les observateurs étrangers d'assister au vote des centaines de milliers de soldats, l'impossibilité de voter pour des centaines de milliers de Rohingyas musulmans privés de papiers d'identité, et l'annulation du vote dans des régions en proie à des conflits ethniques.
Au total, plus de 90 partis sont officiellement en compétition, dont certains seront clefs dans le jeu des alliances après les élections.
Au-delà des législatives, l'enjeu est l'élection du président, élu par le Parlement dans quelques mois. Aung San Suu Kyi, interdite de présidence par la Constitution héritée de la junte, a prévenu qu'elle serait "au-dessus du président".
Pour la LND, la tâche est compliquée par le fait que l'armée conserve un quart des sièges du Parlement, réservés à des militaires non élus, alliés traditionnels de l'USDP.
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