Le jury du Goncourt a choisi "l'audace" en couronnant mardi le romancier Mathias Enard pour "Boussole" (Actes Sud), un roman érudit sur l'Orient, que le romancier a dédié "aux Syriens en général et aux gens qui souffrent" dans cette région tourmentée.
Mathias Enard, qui était en lice avec trois autres candidats, a remporté le prix par six voix contre deux voix pour Tobie Nathan et une pour Hédi Kaddour, l'auteur franco-tunisien qui était le grand favori de ce prix.
"C'est une élection de maréchal", s'est félicité Régis Debray, un des dix membres du jury. Pourtant, a admis le président du Goncourt, Bernard Pivot, ce livre d'une "érudition extraordinaire" peut "faire peur" à certains lecteurs. "Mais, il faut avoir l'audace d'écrire un livre comme celui-ci et il faut avoir l'audace de le lire", a-t-il ajouté.
Au même moment, le jury du prix Renaudot, réuni dans une salle attenante à celle du Goncourt, choisissait une ?uvre plus facile avec Delphine de Vigan pour son thriller psychologique "D'après une histoire vraie" (JC Lattès), un roman plébiscité par le public.
A ce jour, l'ouvrage de Delphine de Vigan est le livre le plus vendu de la rentrée avec plus de 107.000 exemplaires écoulés depuis août.
"C'est une reconnaissance du milieu littéraire à laquelle je suis très sensible", a souligné l'auteur, seule femme en lice pour le Renaudot.
Mathias Enard, arrivé au restaurant Drouant dans une cohue monstre et bruyante, a dédié son prix "aux Syriens en général et aux gens qui souffrent" dans cette région.
"Palmyre (antique ville syrienne détruite par les jihadistes de l'Etat islamique, ndlr) est un drame terrible, mais derrière il y a des millions de gens qui souffrent, une violence qui ne cesse pas dans ce Moyen-Orient dont on a l'impression qu'il souffre d'une sorte de malédiction", a-t-il dit.
- "Une boussole pour l'époque" -
Ecrivain fasciné par l'Orient, Mathias Enard, 43 ans, dont l??uvre est d'une originalité rare dans le monde des lettres, était considéré par les critiques comme celui qui "méritait" le plus le Goncourt. Il est l'auteur de 8 romans, dont six publiés chez Actes Sud. Il avait obtenu le Goncourt des lycéens en 2010 pour "Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants".
"C'est un auteur jeune, talentueux, en train de construire son ?uvre", a fait remarquer Philippe Claudel, écrivain et membre du jury Goncourt.
Mathias Enard, large carrure et favoris broussailleux rappelant à certains Balzac, s'est dit également "surpris" et "extraordinairement heureux".
"Je reviens d'Alger, figurez-vous, et de Beyrouth () Et peut-être la baraka de Cheikh Abderrahmane, le patron d'Alger, et Saint Georges de Beyrouth ont fait ça, et j'en suis extraordinairement heureux", a-t-il commenté.
Sidi Abderrahmane Athaalibi, saint patron d?Alger, a vécu entre le 14e et le 15e siècle. Eminent théologien de son temps, son mausolée se trouve actuellement à la casbah d?Alger, où les fidèles lui rendent visite chaque jour.
Le Premier ministre Manuel Valls a félicité sur Twitter un lauréat, qui "avec son phrasé musical transmet l'amour de l'Orient et de ses trésors à préserver. Une Boussole pour l'époque".
"Boussole", un livre exigeant et parfois ardu, plonge le lecteur, le temps d'une nuit, dans les rêveries opiacées d'un musicologue viennois épris de l'évanescente Sarah. Un des objectifs du roman, selon l'auteur, est de lutter contre l'image simpliste et fantasmée d'un Orient musulman et ennemi, en montrant tout ce qu'il a apporté à l'Occident.
Le lauréat recevra un chèque de 10 euros. Mais l'enjeu est ailleurs. Un roman estampillé Prix Goncourt se vend en moyenne à environ 400.000 exemplaires, le Renaudot à un peu moins de 200.000. "Boussole", tiré initialement à 58.000 exemplaires, va être réédité dès mardi à 200.000 exemplaires supplémentaires.
Né à Niort, Mathias Enard est depuis toujours attiré par l'Orient. Arabophone, il parle également le persan, appris à l'université Chahid-Behechti de Téhéran. Il vit à Barcelone, où il a enseigné l'arabe. Il a vécu à Berlin, Damas et Beyrouth.
Le Renaudot de l'essai a par ailleurs récompensé "Leïlah Mahi 1932" (Gallimard), un livre de Didier Blonde, inspiré par la photo d'une femme sur une plaque funéraire au cimetière parisien du Père-Lachaise.
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