Timothy Foster, jeune Noir américain handicapé mental, a été condamné à mort en 1987 pour le meurtre d'une femme blanche. Près de 30 ans plus tard, ses avocats présentent lundi à la Cour suprême des Etats-Unis les preuves selon eux d'une sélection raciste du jury de l'époque.
Cette affaire sort de l'ordinaire car les documents obtenus tardivement par la défense du prisonnier, toujours menacé d'être exécuté, apparaissent accablants: sur la liste des appelés tirés au sort, parmi lesquels furent choisis les jurés, un "B" a été écrit à la main devant le nom des personnes noires ("Black" en anglais).
Ces citoyens estampillés "B" ont été écartés du jury lors du processus contradictoire qui permet au procureur et aux avocats de récuser un certain nombre de jurés.
Ces récusations sont soit motivées (c'est-à-dire soumises à l'assentiment du juge), soit péremptoires (c'est-à-dire sans obligation de motiver le rejet).
Pire, affirme Stephen Bright, défenseur de Timothy Foster, "ces archives montrent que le procureur a rédigé une liste de +non absolus+, --des personnes à récuser à tout prix--, et les cinq premières personnes de cette liste de six étaient des Noirs, la sixième étant une jurée qui avait clairement fait savoir son opposition à la peine capitale".
"Manifestement, la priorité du procureur était de récuser les Noirs", conclut ce pénaliste respecté, qui a remis des copies des documents explosifs à quelques journalistes avant l'audience de la Cour suprême.
Au final, Timothy Foster a été reconnu coupable à l'unanimité d'un jury composé de 12 Blancs.
-Racisme policier et judiciaire-
Ce rendez-vous lundi devant la plus haute instance judiciaire du pays confronte de nouveau l'Amérique au problème du racisme dans la sélection des jurys de procès, même si la Cour suprême, gardienne de la Constitution, a formellement interdit, dans plusieurs décisions, les récusations fondées sur des motifs raciaux.
"Le problème n'a pas disparu et il ne se cantonne pas au Sud profond", région des Etats-Unis où les préjugés racistes sont les plus ancrés, souligne Christina Swarns, une experte en questions judiciaires de la NAACP, la plus importante organisation de défense des Noirs américains.
"Dans la plupart des cas, un procureur ayant recours à la discrimination pour la sélection d'un jury n'encourt aucune sanction", dit-elle.
Une récente enquête réalisée à Caddo Parish, dans l'Etat de Louisiane, a ainsi montré que les Noirs avaient trois fois plus de chances que les Blancs d'être récusés d'un jury populaire.
Pourtant, selon Christina Swarns, "des études montrent que les jurys mixtes sont nettement plus fiables que les jurys exclusivement composés de Blancs. Les jurys mixtes délibèrent plus longtemps, intègrent davantage d'éléments de preuve, font moins d'erreurs factuelles et sont mieux disposés à corriger des inexactitudes".
De façon paradoxale, explique à l'AFP Robert Dunham, directeur du Centre d'information sur la peine de mort (DPIC), la possibilité de récuser les jurés, dérivée du droit anglais, était à l'origine censée être une protection pour l'accusé face à la Couronne.
Mais ce droit a été étendu aux procureurs, qui savent bien, comme le démontre la jurisprudence, que les jurys blancs sont plus sévères que les jurys multi-ethniques et que les minorités sont moins enclines à infliger la peine capitale.
Avant même la séance des récusations, la sélection des jurés prend la forme d'un long questionnaire écrit, censé disqualifier les individus sectaires ou trop engagés.
"De nombreuses juridictions prévoient davantage de récusations d'office pour les cas faisant encourir la peine capitale, et la combinaison des disqualifications et des récusations d'office affecte de manière disproportionnée les jurés de couleur", assure Robert Dunham.
Résultat, il est encore fréquent que des accusés, jugés dans des villes ayant 25, 30, voire 40% de Noirs, se retrouvent face à un jury 100% blanc.
Ces quinze derniers mois ont éclaté aux Etats-Unis de retentissantes affaires illustrant un racisme tenace chez certains policiers.
"Etant donné que ces affaires très chargées sur le plan racial finissent dans les tribunaux et face aux jurys, il est crucial d'avoir un processus qui inclut tous les citoyens qualifiés pour juger", insiste Christina Swarns.
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