Murs de briques sinistres, fenêtres condamnées, portes blindées rouillées: c'est dans une atmosphère volontairement angoissante qu'un musée d'État sur la terreur stalinienne ouvrira ses portes à Moscou vendredi, jour du souvenir des victimes des répressions de l'époque soviétique qui ont fait des millions de morts.
Le visiteur passant par des portes blindées rouillées récupérées dans différents camps de "l'archipel du goulag", des Solovki (Nord) à Kolyma (Extrême-Orient), entendra les verrous qui claquent et l'aboiement des chiens de garde.
Dans l'obscurité totale, les fenêtres étant drapées de tissus noir, on se sent coupé du reste du monde. "Comme ceux qui se trouvaient complètement isolés après leur arrestation", explique à l'AFP Egor Laritchev, le directeur adjoint du Musée du Goulag.
Des écrans interactifs retracent l'histoire d'ex-détenus et de leurs proches, mais aussi celles de leurs gardiens.
"A son apogée en 1937, la terreur a touché quasiment chaque Soviétique, qu'il soit victime, délateur ou gardien", poursuit M. Laritchev.
Avec ses 2.500 photographies, témoignages, objets personnels et documents historiques, le nouveau musée occupe un bâtiment de quatre étages non loin du centre de Moscou, nettement plus que le précédent Musée du Goulag qui n'occupait que quelques pièces.
On peut aussi observer la carte de "l'archipel du Goulag", cet immense réseau de camps où ont été broyés 20 millions de détenus entre 1930 et 1956, raconte Galina Ivanova, directrice adjointe scientifique du musée et auteur d'une monographie sur le sujet.
- "Ne pas taire notre histoire" -
Fin 1949, le professeur N., de l'université Lomonossov à Moscou dénonce un cercle étudiant dont son propre fils est membre. Les statuts du groupe n'ont rien d'anti-soviétique mais après interrogatoire, les jeunes gens avouent leurs "activités contre-révolutionnaires". Tous iront au goulag, à l'exception du fils.
Selon la loi toujours en vigueur en Russie, le nom du dénonciateur est gardé secret. Son fils enseigne aujourd'hui dans la même université, explique Galina Ivanova.
"Aujourd'hui beaucoup de gens ont commencé à s'interroger: qu'est-ce qui ne va pas avec nous et pourquoi?", ajoute l'historienne.
"La réponse est simple: on ne peut pas taire ou nier notre histoire, et notre musée doit combler cette lacune", dit-elle.
Mais l'exposition couvre uniquement la période allant jusqu'en 1958, et ignore les camps politiques qui ont existé jusqu'à la fin de l'URSS.
"Après la mort de Staline, les camps n'ont pas disparu, mais le nombre de détenus politiques ne se calculait plus en millions", explique Mme Ivanova.
Un espace audiovisuel permet au visiteur de "participer" aux obsèques de l'artisan de la terreur, Staline, mort le 5 mars 1953, auxquelles ont assisté cinq millions de Soviétiques et qui ont donné lieu à des scènes d'hystérie collective entraînant la mort de centaines de badauds.
- Pas de cérémonies officielles -
En 2012, Staline est arrivé en tête d'un sondage concernant les plus grandes personnalités russes, pour son rôle dans la défaite de l'Allemagne nazie face à l'URSS.
Staline est toujours enterré devant le Kremlin, sur la place Rouge, et un Russe sur deux considère aujourd'hui que les sacrifices imposés par Staline se justifient par les "grands objectifs" réalisés par l'URSS.
"Ce musée du Goulag est sûrement une chose positive, mais la situation est toujours ambigüe", estime Ian Ratchinski, coprésident de l'ONG de la défense des droits de l'Homme Memorial.
"D'un côté, Vladimir Poutine dénonce régulièrement la terreur stalinienne, d'autre part le ministère de la Culture autorise l'ouverture de monuments à Staline", ajoute-t-il.
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